Le Nord-Ouest et la Confédération

La colonie de la Rivière-Rouge face à son avenir - 1857-1870
« … il règne dans le pays un certain malaise général, par rapport à notre état politique actuel, et malgré cela mes vues sont trop étroites et trop bornées pour prévoir quelle grande amélioration on va faire. Les différents systèmes qu’on nous propose sont, je le sais bien, spéculativement de beaucoup supérieur à notre système ou anomalie actuelle, et pourtant, dans la pratique, je crains bien que d’ici à longtemps nous ne nous en trouvions moins pas mieux. Quoiqu’il en soit le mouvement est imprimé, il nous faut cesser d’être ce que nous avons été jusqu’à présent, un peuple exceptionnel. »
Lettre de Monseigneur A. Taché à S.J. Dawson, le 7 février 1859, imprimée dans Dawson, S.J., Rapport sur l’exploration de la contrée entre le Lac Supérieur et la Colonie de la Rivière Rouge, Toronto 1859, p. 43
Ces mots de Monseigneur Alexandre Taché, envoyés à Simon James Dawson suite à l’expédition exploratoire Dawson-Hind de 1857-1858, indiquent l’existence de l’incertitude dans la population de la colonie de la Rivière-Rouge face à son avenir. Éloignée des capitales où les décisions seraient prises, elle avait raison de s’en inquiéter. Malgré l’impuissance relative des colons à influencer les décisions, ils avaient leurs opinions sur l’avenir du pays, opinions qui se développèrent au cours des événements dans la colonie et dans le monde extérieur.
Dans ce module, il est question des considérations faites au Nord-Ouest et à la Rivière-Rouge en particulier face à la perspective de la création de la Confédération canadienne et de la possibilité pour le Nord-Ouest de se joindre à la nouvelle Confédération.
Nous remercions Patrimoine canadien qui a rendu possible ce projet grâce au financement offert dans le cadre du programme Développement des communautés de langue officielle, sous-volet Collaboration avec le secteur communautaire.
Événements extérieurs à la colonie 1857-1869
En 1857, des événements extérieurs indiquent que l’avenir de la colonie sous le gouvernement de la compagnie de la Hudson Bay tire à sa fin. En 1857, le parlement impérial de Londres nomme un comité pour revoir la charte de la compagnie de la Hudson Bay, qui doit arriver à échéance en 1859. Le gouvernement du Canada y présente une requête de définir la frontière entre le Haut-Canada et l’Assiniboia, demande voilée qui pointe vers l’annexion. La Compagnie de la Baie d’Hudson se dit prête à céder ses droits en Rupertsland, moyennant une donation de un million de livres, mais indiquant que les coûts de gouvernance seraient trop élevés pour le Canada. Le rapport du comité, présenté le 31 juillet 1857, ne touche pas à la validité de la Charte de la compagnie de la Baie d’Hudson, tout en suggérant que le parlement britannique devrait se pencher sur la question de céder la colonie de la Rivière-Rouge au Canada.
Cet exercice éveille l’intérêt public, tant à Londres qu’au Canada. L’expédition Palliser est envoyée par Londres pour explorer la Terre de Rupert. Le gouvernement du Canada, à sa suite, organisa l’expédition Dawson-Hind pour voir à la possibilité d’établir une route du lac Supérieur jusqu’à la rivière Rouge, ainsi que d’explorer les contrées avoisinant les rivières Assiniboine et Saskatchewan. Les rapports de ces expéditions présentent un climat plus favorable et des terres plus fertiles que les informateurs de la HBC les avaient révélés jusqu’alors. Une propagande en faveur de l’émigration se développe.
Déjà depuis quelques années, la province de l’Ontario, alors nommée Haut-Canada, avait vu ses dernières bonnes terres agricoles colonisées. Les regards se portaient donc plus à l’Ouest, où la grande étendue de terres et la faible population devint une cible pour l’émigration. Quelques nouveaux arrivants du Haut-Canada, venus en éclaireurs pour se donner une position avantageuse avant la grande émigration prévue, appuient l’option d’annexion au Canada. Malgré leur petit nombre, le dynamisme de ce groupe fait retentir sa présence, et son journal instruit à la fois la colonie de Rivière-Rouge et établit un lien avec les « Canadians » de souche anglaise qui cherchent à trouver d’autres terres arables et d’étendre leur dominion. Ce premier journal de la colonie, le Nor’Wester, reflète le point de vue de ceux qui seront rapidement désignés le « Canadian Party ».
En 1857 déjà, les possessions de la Compagnie sur la côte du Pacifique, c’est à dire l’île de Vancouver, devient une colonie de la couronne. Celle-ci s’étendit sur le continent en 1858, à l’époque de la ruée vers l’or sur le fleuve Fraser. Certains groupes dans la colonie de la Rivière-Rouge voient leur avenir collectif dans ce modèle. Ils y espèrent un avenir libre de la Compagnie de la Baie d’Hudson, sous un gouvernement responsable élu par le peuple, selon le modèle britannique.
En 1867, les États-Unis, dont la guerre civile déchirante vient de se terminer, achètent le territoire de l’Alaska à la Russie. La Terre de Rupert, en plus d’être un pont est-ouest entre le Canada et la Colombie britannique, devient aussi un pont nord-sud entre les États-Unis et l’Alaska. Certains éléments américains de St. Paul au Minnesota, fiers de leur « Manifest Destiny », sont prêts à annexer ce territoire. Depuis la famine à la Rivière-Rouge en 1819, des liens de commerce et de communications se sont tissés entre St. Paul et la Rivière-Rouge. La présence de marchands américains à Saint-Boniface renforcit les liens commerciaux et politiques en faveur d’annexion aux États-Unis. La mobilité des Métis entre Saint-Boniface et Pembina, semble accentuer cette option.
Ce n’est qu’après la fin de la guerre civile américaine que le projet de confédération des colonies britanniques prend de l’ampleur. L’article 146 de la Loi de 1867 sur l’Amérique du Nord britannique, 1867, 30-31 Vict., c. 3 (R.U.)) prévoit l’inclusion de la Colombie britannique et du Territoire de Rupertsland dans le nouveau pays. Des négociations lentes entre le Canada et la Hudson’s Bay Company s’étireront jusqu’en 1869. La compagnie, poussée d’une part par les gouvernements impérial et canadien qui veulent empêcher que la Terre de Rupert passe aux États-Unis, et d’autre part réalisant que les coûts associés à la gouvernance de ce vaste territoire seraient trop élevés pour une compagnie privée, accepte d’échanger ses droits contre la somme de 300,000 livres. Par la Loi de 1868 sur la terre de Rupert (31-32 Vict., ch. 105 (R.-U.)), la compagnie cède les terres à la couronne anglaise, qui les cèdent au gouvernement canadien le 19 novembre 1869. Par sa Loi concernant le gouvernement provisoire de la terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest après leur adhésion à l’Union, (1869, 32-33 Vict., ch. 3 (Canada)), promulgué le 22 juin 1869, le gouvernement canadien indiquait qu’il prendrait possession du territoire et qu’un gouverneur avec un conseil nommé, sous l’autorité du gouvernement canadien, le gouvernerait.
Pendant toute la période des négociations, aucune consultation ou communication se fait avec les habitants de la colonie de la Rivière-Rouge. Pour sa part, le gouvernement impérial, qui n’a jamais gouverné la Terre de Rupert directement, ne se voit pas comme facilitateur de l’échange. La Compagnie de la Baie d’Hudson, qui cède ses droits, laisse au gouvernement canadien l’option de communiquer avec les gens de la colonie. Mais ce dernier, le gouvernement de John A. MacDonald, a une idée bien définie de ses attentes quant au territoire, et ne communique pas puisqu’il ne les gouverne pas encore.
L’absence d’informations au sujet de l’annexion au Canada, plus que n’importe quel autre facteur, amplifie les remous dans la colonie. Depuis ces débuts, il y a plusieurs courants d’opinion qui circulent, d’abords pour ou contre la Compagnie de la Baie d’Hudson et son gouvernement, puis pour ou contre l’annexion au Canada, l’annexion aux États-Unis et la formation d’une colonie de la couronne. Les différentes opinions des habitants à la Rivière-Rouge les opposent, entre eux à l’intérieur de la colonie, et au gouvernement canadien et au gouverneur nouvellement nommé, William MacDougall.
Colonie de la Rivière-Rouge 1857-187
En 1856, la colonie de la Rivière-Rouge, établie le long des rivières Rouge et Assiniboine, compte 6 523 habitants, répartis dans 1 082 familles. La plus grande partie de la population est née en Terre de Rupert et est soit métisse ou Premières Nations. 116 familles viennent de l’Écosse, 92 du Canada, 40 de l’Angleterre et 3 de l’Irlande. 488 familles sont anglicanes (épiscopalienne selon le recensement), 60 sont presbytériennes et 534 sont catholiques.
En 1870, le recensement établit par le lieutenant-gouverneur Archibald compte 11 960 résidents, dont 5 720 Métis francophones et 4 080 Métis anglophones, 560 gens des Premières Nations et 1 600 Européens originaires de l’Écosse, de l’Angleterre, de l’Irlande, mais aussi du Canada. La population est aussi divisée selon la religion, 5 720 Catholiques et 6 240 Protestants.
C’est donc une augmentation de 5 000 personnes qui viennent taxer les ressources économiques de cette petite colonie basée économiquement sur la traite de fourrures. Le procès Sayer de 1849 avait mis fin au monopole de la compagnie, mais l’agriculture, la chasse au bison pour fournir le pemmican à la Compagnie et le transport de fourrures restaient les principales industries jusqu’en 1869. Petit à petit, la communication avec le monde extérieur devient plus rapide. Les brigades de charrettes font le trajet, suivis en 1859 par le premier bateau à vapeur sur la rivière Rouge. Faute de chemin facile entre le Canada et la Rivière-Rouge, et avec l’arrivée du chemin de fer de St-Paul, cette voie américaine devient graduellement la plus utilisée pour les marchandises comme pour les voyages et les communications depuis le Canada.
L’arrivée des premiers colons « Canadians » de l’Ontario amène aussi le premier journal, le Nor’Wester. En plus de répéter les nouvelles qui arrivent par les journaux de l’Ontario, du Québec, de l’Angleterre et des États-Unis, le Nor’Wester propage dans la colonie et à l’extérieur les nouvelles et les opinions qui s’y trouvent. L’arrivée des « Canadians » change aussi la dynamique politique de la colonie. Car si les gouverneurs de la colonie administrent le territoire selon les souhaits et les intérêts de la Hudson’s Bay Company, il n’a toujours pas de force policière ou militaire pour assurer le bon fonctionnement de son gouvernement. Il doit donc tenir compte principalement de la bonne volonté des Métis francophones et anglophones, séparés par leurs divisions linguistiques et religieuses, mais forts de leur organisation quasi-militaire pour la chasse au bison. Les « Canadians », avec leur agenda pro-annexionniste au Canada, vont perturber la colonie par l’espoir qu’ils nourrissent de se retrouver au premier rang lorsque l’immigration qu’ils prévoient de l’Ontario viendra bouleverser le rapport des forces à la Rivière-Rouge.
Le manque de communication de la part des gouvernements, ainsi que les actions du « Canadian Party » ont contribué aux tensions existant avant et pendant la résistance de 1869-70. Alimenté par les rumeurs, vu le manque d’information concrète, le conflit des opinions passera à l’action. La décennie qui a mené à la création de la province du Manitoba a fait couler beaucoup d’encre et causer une division entre peuples : Métis, Premières Nations et Européens ou Canadiens de langue anglaise et française. Les grands changements dans le gouvernement et dans la composition de la population apportés par l’immigration qui suivit l’entrée dans a confédération, changea les forces au pouvoir. La société dominée numériquement par les Métis fut remplacée par une société dominée par les Anglo-protestants blancs impérialistes.
Sans entrer dans les détails, ce module cherche à mettre à jour les différentes perceptions de la création de la Confédération vue à partir de la Rivière-Rouge et ce que les habitants de la colonie de la Rivière-Rouge espéraient lorsqu’ils se sont enfin joints à cette Confédération. Tour à tour les perceptions des groupes qui formaient la société de la colonie seront présentées en tentant de s’en tenir aux écrits de l’époque.
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Bibliographie
- Dawson, S.J. (1859) Rapport sur l’exploration de la contrée située entre le Lac Supérieur et la Colonie de la Rivière Rouge et entre ce dernier endroit et les rivières Assiniboine et Saskatchewan (Toronto: John Lovell)
- Great Britain (1857) Report from the Select Committee on the Hudson’s Bay Company; Together with the Proceedings of the Committee, Minutes of Evidence, Appendix and Index (Londres; Parliament)
- Hind, Henry Youle (1860) Narrative of The Canadian Red River Exploring Expedition of 1857 and of the Assinniboine and Saskatchewan Exploring Expedition of 1858, Vol. 1 (Londres, Longman, Green, Longman and Roberts)
- Morton, W.L. (1956) « Introduction » in Alexander Begg’s Red River Journal and Other Papers Relative to the Red River Resistance of 1869-1870 (Toronto; The Champlain Society), p. 1-148.
- Morton, W.L. (1968) The West and Confederation 1857-1871, (Ottawa, Canadian Historical Association Booklets No. 9)
- Pannekoek, Frits (1991) A Snug Little Flock: the social origins of the Riel Resistance of 1869-70 (Winnipeg; Watson & Dwyer Publishing)
Le gouvernement de la Compagnie de la Hudson's Bay
Établie en 1812 par le Lord Selkirk pour des colons écossais, la colonie de la Rivière-Rouge, ou colonie d’Assiniboia, est depuis 1822 dirigée par un gouverneur nommé par la Compagnie de la Baie d’Hudson. Celui-ci gouverne avec l’aide d’un conseil qui, avec le temps, devient plus représentatif de la communauté. Selon l’Esquisse sur le Nord-Ouest de l’Amérique de Monseigneur Taché, publié en 1868, les membres du conseil:
«sont aussi à la nomination de l’honorable compagnie de la baie d’Hudson; mais la justice veut que nous disions que la compagnie, sans introduire dans le pays le principe électif, a depuis douze ans, au moins à ma connaissance personnelle, basé le choix des conseillers sur le sentiment public bien plus que sur ses propres intérêts, ses intérêts commerciaux du moins; elle a nommé comme conseillers plusieurs de ceux qui font à son commerce la plus chaude opposition.»1
William MacTavish, gouverneur d’Assiniboïa de 1858 à 1869, donna son opinion à un journaliste américain à New York, lors de son départ vers l’Angleterre en juin 1870:
«Gov. MacTavish – There was the Governor, a Council and magistrates appointed by the Governor. The influence of the Government was of a personal nature, rather than an official or political one.
Reporter – It was patriarchal then, in fact, if not in theory.
Gov. MacTavish – Yes, it was patriarchal.
Reporter – Were the Scotch inclined to be rebellious?
Gov. MacTavish – No, nor were any of the inhabitants. The native population – the half-breeds – are peacable. They are ignorant, but they are trustworthy, and are men of good common sense.
Reporter – There does not seem to have been any material there for a rebellion, then?
Gov. MacTavish – None at all. The Canadian traders who came up there were the only discontented persons.»2
Selon son dernier gouverneur, il semblerait donc que la plupart des habitants de la colonie soient satisfaits de leur gouvernement. C’est une opinion partagée parmi les membres du conseil, et avec certains commerçants de la colonie. Dans son livre The Creation of Manitoba; or, A History of the Red River Troubles, publié en 1871, Alexander Begg, originaire du Québec et associé au groupe de commerçants établis dans la colonie, indique que :
«Their form of government was a peculiar one, which, while it relieved the Red River settlers of a heavy responsibility, at the same time gave them an indisputable voice in the selection of the men appointed to watch over their interests. It cannot be denied that the Hudson’s Bay Company invariably made it a point to consult the settlers as to the fitness of a councillor before appointing him to the office; and thus, although there were no elections, the men who were most popular amongst their neighbours were generally chosen to represent them at the Council Board. In this way, the people had to a great extent a voice in the management of their own affairs; but, because the Hudson’s Bay Company also enjoyed the right of sending members to the Council of Assiniboia, it was reported abroad that the whole government of the country was in the interest of that august body, and that the settlers had little, if any chance to control their own affairs. Another erroneous idea was that the councillors were overawed by the weight and influence of the Company; whereas the power was an equally balance one,– for the reason that the objection of one member of the Board was sufficient to overthrow any motion before it.
[…]
We may here mention that the individuals chosen from amongst the settlers to act as councillors conjointly with those from the Hudson’s Bay Company were, as a rule, men of integrity and high standing in the country, and therefore, altogether above bribery and falsity to their people’s interests.»3
Le groupe de commerçants établis depuis plusieurs années dans la colonie a des liens avec la compagnie. Andrew McDermot arriva à la colonie en 1814 comme employé de Compagnie de la Baie d’Hudson, tout comme son gendre, Andrew G.B. Bannatyne. Tous deux ont siégé au Conseil d’Assiniboïa, et servirent comme magistrats pour la cour de la colonie: ils connaissent bien les habitants et leurs sont sympathiques.
Le gouvernement et ses cours judiciaires avaient donc le respect des habitants de la colonie, tout en se rappelant le poids de la grande présence métisse, anglophone et francophone, qui, avec son organisation de chasse au bison, pouvait aisément montrer sa force s’il se croyait sujet à des injustices. C’est ce qui explique la fin du monopole de la traite des fourrures, en 1849, lors du procès Hudson’s Bay Company vs. Sayer.4 Ce dernier est trouvé coupable de la traite libre des fourrures, mais il ne reçoit aucune punition, vu la présence de Métis armés et le mouvement vers la liberté de la traite des fourrures qu’ils encouragent, appuyés par les commerçants.
En 1857, William Caldwell, gouverneur d’Assiniboïa de 1848 à 1855, comparaît devant le comité parlementaire impérial. Selon lui, la colonie était « tranquil, peaceable, and quiet when I left it »5. Elle avait donc retrouvé son calme, jusqu’à l’arrivée d’immigrants du Haut-Canada qui cherchent à remplacer le gouvernement de la Compagnie. En 1862, le gouverneur de la Terre de Rupert, Alexander G. Dallas, a le même point de vue lorsque ces insatisfaits réclament une colonie de la couronne. Dans une lettre à Mgr Taché, il écrit:
«As your Lordship is no doubt aware, there are two petitions to the home Government in course of signature, requesting the aid of troops for the protection of this Settlement. One of those, originated by the Council, confines itself to the above object. The other, emanating from the office of our local paper, asks in addition for a change of Government, and at the same time brings some serious charges against the existing authorities.
It is of course quite legitimate in the whole or a portion of the people to ask for a change of Government, if they wish it; and I have no doubt the Hudson’s Bay Company will be ready to acquiesce in any alteration which Her Majesty’s Government may wish to effect. In no one instance however has a complaint or grievance against the local Government been brought to my notice since my arrival in the Settlement. Our officers are, I find, individually popular, and much credit has been accorded to the Company for its generosity and its liberality, in providing food, seed, wheat and medical attendance for the poor and needy in times of scarcity and sickness. I am therefore led to believe that the adverse petition is the offspring of a few discontented individuals, of no weight, and with little stake in the country; and that they have brought unfair influences to bear in obtaining the signatures of illiterate, ignorant and young people, incapable of comprehending the meaning of the document to which their names are affixed.»6
Taché répondra:
«The authors of the document require nothing less than the dissolution of the present government. […] I feel convinced that. for the moment at least, a change [of Government] whatsoever would be a real disadvantage. […] It is true that the only legislative body in the Country are nominees of the Honourable Hudson’s Bay Company but it is well known that these nominees are chosen among the most respectable and the most intelligent of the place. Moreover the Company has, even in this choice, evinced generosity, as several of the members of the Council have personal interests diametrically opposed to the commercial interests of the Company. To my knowledge, the Company went so far as to consult those interested and the greater number of the Counsellors have been appointed because such appeared to be the desire of the population in general. Still more, I am convinced that an election would recall to Council if not all, at least the greater number of the members that now compose it.»7
Ce sont les mots qu’il utilisera dans son Esquisse de 1868. Du point de vue des officiers de la Compagnie de la Baie d’Hudson et de ses alliés, le gouvernement de la colonie travaille pour le bénéfice de sa population, comme il se doit, et non pour les immigrants qui viendront après l’ouverture de la Terre de Rupert à l’agriculture, ce qui demeure encore dans l’avenir incertain.
Lorsque la Terre de Rupert sera cédée au Canada pour 300,000 Livres, les officiers de la Compagnie reconnaissent qu’en tant qu’employés, ils devront subir les décisions de celle-ci. Quelle que soit leur opinion personnelle, les membres du conseil d’Assiniboïa se rencontrent le 13 octobre 1869 pour écrire un discours de bienvenue au nouveau gouverneur nommé par le Canada. Le gouverneur MacTavish, alors malade, agira aussi pour calmer la population de la Rivière-Rouge, sans grand succès.
«J’ai fait tout mon possible de leur faire comprendre [aux Métis] qu’il est de l’intérêt de M. McDougall ou de tout autre qui peut venir comme gouverneur, que son administration réussisse, et qu’on ne saurait compter sur le succès si on commettait des injustices envers un grand nombre des gouvernés; que l’alliance apparente entre le Dr. Schultz et les officiers arrivés dans le territoire provenait seulement du fait que le docteur s’était montré affable et obligeant à leur égard, mais que ses bons procédés n’influeraient en rien sur leur conduite officielle. Mais je trouve que mes présentations demeurent sans effet, et qu’ils sont encore sous le coup du soupçon.»8
Il y a une certaine ironie que le parti Canadian, qui a si longtemps milité contre le gouvernement de la Compagnie, se tourne vers celui-ci pour tenter d’apaiser les résidents de la colonie qui s’opposent à l’avancement des « Canadians ».
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1 Taché, Alexandre (1901) Esquisse sur le Nord-Ouest de l’Amérique, (1868), Montréal, Beauchemin et fils, 2e édition.
2 The Sun, New York, NY, 25 juin 1870, p. 2, et réimprimé dans The New Nation, 16 juillet 1870, p. 1
3 Begg, Alexander (1871) The Creation of Manitoba; or, A History of the Red River Troubles, Toronto, p. 1-2
Le journal d’Alexander Begg, qui date du 6 novembre 1869 au 23 juillet 1870, inclut beaucoup de détails relatifs à la résistance de la Rivière-Rouge, et fut publié par la Société Champlain en 1956, avec introduction de W.L. Morton, et d’autres papiers pertinents de l’époque.
4 Gibson, Dale (2015) Law, Life , and Government at Red River, Vol. 1 Settlement and Governance 1812-1872, Toronto, McGill-Queen’s University Press, p. 115-119. Voir aussi sa conclusion à la page 352.
5 Report from the Select Committee on the Hudson’s Bay Company, Londres 1857, p. 298.
6 Lettre de A.G. Dallas à Mgr Taché, 25 novembre 1862, SHSB, Fonds CACRSB, Série Alexandre Taché, boîte 6, T1739-T1740.
7 Lettre de Mgr Taché à A.G. Dallas, 6 décembre 1862, SHSB, CACRSB, Série Alexandre Taché, boîte 48, Ta0420-Ta0423.
8 Lettre de W. McTavish a Mgr Taché, 4 septembre 1869, dans le Rapport du comité spécial sur les causes des troubles du Territoire du Nord-Ouest en 1869-1870, Ottawa, 1874, p. 8-9
Pour une colonie de la couronne
Il y a souvent eu des griefs contre le gouvernement de la Compagnie, et plusieurs pétitions sont acheminées vers le gouvernement britannique en faveur de l’établissement d’une colonie de la couronne. Les initiateurs de ces pétitions sont souvent des employés de la Compagnie qui sont désenchantés de leur maigre chance de promotion ou encore des colons originaires de la Grande-Bretagne qui, arrivés à la Rivière Rouge et se trouvant en position d’autorité, sont déçus que la Compagnie y impose des limites.
Lorsqu’en 1857 le gouvernement impérial se penche sur la Charte de la Terre de Rupert que détient la Compagnie, il y a deux intervenants de la colonie qui se présentent. Le premier, A.K. Isbister, ancien employé de « sang-mêlé », est insatisfait de son manque d’avancement dans la Compagnie. Déménagé en Angleterre, il étudie dans plusieurs universités au Royaume-Uni, et adopte la cause des Métis et des Premières Nations. Isbister avait aidé à envoyer une pétition contre le monopole de la traite des fourrures de la Compagnie de la Baie d’Hudson, en 18451. Cette pétition avait environ mille signatures. En 1857, devant le comité britannique, Isbister indique que la Compagnie «is unfavourable to the development of resources of the country, and also to the enlightenment and progress in civilization of the inhabitants»2. Il continue:
«it is an obstruction to the colonising spirit of those settlers who are in the territory; the Company have not made any efforts, at least such efforts as I think they might have made, to provide a market for the settlers that are in it; and they have thrown obstacles, according to the statement of the settlers at least, which is confirmed by official documents in my possession here, in the way of an export trade in tallow and hides from the wild animals in the prairies; they have also interfered in many ways with the efforts of the settlers to get up an export trade with the United States, the only outlet which is open to the Red River Settlement.»3
Selon Isbister, le gouvernement du Canada à Toronto pourrait mieux assurer la paix et la sécurité sur la Terre de Rupert que la Compagnie de la Baie d’Hudson à Londres, et pourrait aussi mieux développer les ressources du territoire. Il ajoute : « […] there would be a greater interest on the part of the Canadians in developing the resources of that country if it formed a portion of Canada than if it formed a separate province. »4 Le développement des ressources ferait accroître la population.
Le second intervenant est le Révérend Owen Corbett, ministre protestant d’origine anglaise qui avait œuvré dans la colonie à Headingley de 1852 à 1855, et de 1857 à 1864. Selon lui, la Compagnie lui aurait interdit de commencer une mission à Portage-la-Prairie, car ce site est trop éloigné de la colonie pour pouvoir assurer sa sécurité et son ravitaillement. L’évêque Anglican David Anderson appuie Corbett en indiquant au comité que la Compagnie ne voulait pas augmenter ses dépenses en élargissant les limites de la colonie5. Ajoutant à cet argument, Corbett indique vaguement que la Compagnie nuit au développement social et économique de la colonie.
Dans un pamphlet de 1859, l’un des premiers documents imprimés à la Rivière Rouge, Corbett explique pourquoi il préfère la formation d’une colonie de la couronne à l’annexion au Canada.
A few reasons for a Crown Colony.
- Because, a Crown Colony, would have direct intercourse with the Home Government; whereas, annexation to Canada, would entirely alter the case by placing us altogether in the hands of a subordinate power.
- Because, a Crown Colony, would probably make the vicinity of Red River the seat of government; but, in annexation to Canada, the seat of government would be situated about 1,000 miles distant from the Red River Settlement.
- Because, a Crown Colony, would probably raise the Settlement to an honorable position and make it the centre of civil and commercial transactions, and enable it to diffuse its influence over every part of the country; but, annexation, would reduce the Settlement to a mere county, and limit its direct power to a small portion of the territory only.
- Because, a Crown Colony, would probably make the Settlement the Capital of the country, which would tend to raise the value of the landed property possessed by its inhabitants, an advantage not to be overlooked.
- Because, in a Crown Colony, the Governor, Judge, and Council, would be on the spot and their official proceedings brought within the observation of all; but, in annexation, the Representative would be removed about 1,000 miles from the Settlement to perform the duties of his office.
- Because, the Home Government is liberal in the [mot illisible] of Crown Colonies and often bears the expenses of Governors, of Judges and other officers; as is said to be the case in Newfoundland, New Brunswick, British Columbia &c. And even to the Falkland Islands, for a population of twenty seven families, the Home Government has lately sent out a Judge, and pays his salary of L800 per annum; but, in annexation, each Representative must be paid six dollars per day, besides the salaries of twelve county officials and other subordinates, and the general taxation of Canada.
- Because, in a Crown Colony, with a Council on the spot, chosen by the people themselves, there would be the surest safeguard against any chartered bodies with exclusive privileges, and the best security against any untoward influence in Canada or England; and, because, an able witness writes from London that annexation — « CANNOT BE CARRIED OUT. »
- Because, whatever advantages Canada enjoys, apart from her natural position, she derives these from her connexion with England as a Crown Colony; and therefore we pray for Rupert’s Land to be made a Crown Colony.6
Un conseil choisi par le peuple lui-même: telle est la principale revendication adoptée par Corbett, Isbister, et les autres voix qui s’élèvent contre le gouvernement de la Compagnie. Même George Gladman, ancien employé de la Compagnie et nommé pour organiser l’expédition Dawson-Hind, indique au gouvernement canadien que
«Je ne crois pas me tromper, et je pense exprimer le sentiment des habitants de la Rivière Rouge, en disant que leur plus grand désir est d’avoir une voix dans leur propre gouvernement, et d’être libres de faire leur commerce sur les meilleurs marchés qui peuvent être à leur portée.»7
Deux options se présentent pour les habitants de la colonie, deux options qui mènent vers un gouvernement responsable. Il faut remarquer que les opposants au régime de la Compagnie sont anglais et associés à la Grande-Bretagne par l’éducation, par la culture ou par la naissance. Ils cherchent les libertés offertes par le système parlementaire britannique à sa population. Les pétitions envoyées au gouvernement impérial, en 1857, en 1860 et en 1862, resteront sans réponse. Le gouvernement britannique n’est pas intéressé à gouverner la petite colonie éloignée: son importance ne mériterait pas les dépenses encourues. Voilà pourquoi Londres ne répond pas: il préfère que le Canada s’en occupe.
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1 Isbister, A.K. (1846) A few words on the Hudson’s Bay Company: With a statement of the grievances of the native and half-caste Indians, addressed to the British Government through their delegates now in London. London: C. Gilpin,
2 Report of the Select Committee on the Hudson’s Bay Company, p. 121.
3 Ibid.
4 Ibid., p. 132
5 Ibid., p. 247
6 Braden, Bruce (1974) Early printing in the Red River Settlement, 1859-1870, and its effect on the Riel Rebellion, Winnipeg, Peguis Publishers, s.p.
7 Lettre de George Gladman au Président du conseil, Toronto, 26 mars, 1858, dans Hind, Henry Youle (1858) Rapport sur l’exploration de la contrée situé entre le Lac Supérieur et les Etablissements de la Riviere Rouge (traduction) Toronto, John Lovell, imprimeur, p. 160
Pour la confédération - Le « parti canadian »
À la suite de l’expédition Dawson-Hind, un troisième groupe de voix s’élève contre le gouvernement de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Dirigés informellement par John Christian Schultz, ce groupe prend rapidement le nom de « Canadian Party ». Le gouvernement du Haut-Canada, voulant annexer la Terre de Rupert pour y développer l’agriculture, avait envoyé un ancien premier ministre de cette province au comité londonien pour pousser discrètement l’option d’annexion au Canada. Il demandait à Londres de préciser la frontière entre le Canada et la Terre de Rupert. Prenant leur élan de cette initiative et aussi des politiciens et journaux pro-annexionnistes, tels que William McDougall et le Globe de Toronto, Schultz et ses camarades venaient en éclaireurs pour les Ontariens. Plus qu’éclaireurs, ils espèrent aussi faire fortune en se positionnant avantageusement dans la société qui va se former.
Arrivant à la colonie en 1859, William Coldwell et William Buckingham transportent avec eux une imprimerie. C’est le début du journalisme dans l’Ouest. The Nor’Wester, bien que se disant « governed only by a desire to promote local interests »1, ne tarde pas à montrer ses couleurs. Il se fera la voix du « Canadian Party » à la Rivière-Rouge. Bien que ce journal propagera les nouvelles locales et internationales dans la colonie, il se présentera aussi comme la voix de la colonie dans le monde extérieur, même s’il ne partage pas les perceptions de la majorité.
Dès le 4e numéro, nous pouvons lire: «Our country has no bright historic past– no artificial greatness of any kind; but it has elements of future greatness, nevertheless, and its manifest destiny may now be read by the most thoughtless»2. Ces nouveaux arrivés de l’Ontario font peu d’effort pour s’identifier avec la population de la colonie, arrivant en envahisseurs impérialistes et orangistes qui ne voient que la promesse de l’avenir sans vraiment s’accrocher aux conditions du présent. Pourtant, en février 1861, James Ross, nouvel éditeur du Nor’Wester, publie la première de seize fascicules de son History of the Red River Settlement, montrant qu’il y a une histoire à la colonie.
Selon les éditoriaux du Nor’Wester, les pétitions de 1857 et de 1859 montrent l’insatisfaction des résidents de la colonie vis-à-vis de leur gouvernement:
« […] we are bound to say that the feeling in this Settlement is favorable to the Company–regarded merely as a commercial body. The dissatisfaction implied in the petitions above-mentioned, applies to them in their capacity as a government. They are professedly a money-making corporation, and so long as their operations are confined to a massing wealth, and they use lawful means in doing so, well and good; but it is too much to expect that they should be a genuine money-making company and an unbiassed and impartial government at the same time. The two things are inconsistent. »3
Le journal critique aussi les politiques et les façons de faire du gouvernement local : réunions du conseil à huis clos, politiques de vente de l’alcool aux autochtones, tout y passe.
Pour le Nor’Wester et les « Canadians », l’avenir de la colonie, c’est la colonisation à partir et à l’image du Haut-Canada. Puisque le gouvernement du Canada tarde à montrer son intérêt dans l’annexion, le journal appui les revendications des quelques pétitions qui demandent le statut de colonie de la couronne. À partir de 1864, lorsque les négociations se font entre les colonies britanniques pour former la confédération, le Nor’Wester y voit une promesse d’avenir.
«We, in Rupert’s Land, look forward to the issue with no little interest: for though we send no delegate there, the present and future position of this vast section of country will, we believe, enter into discussions. The Canadian delegates will treat of the subject, but in a very secondary way. The wishes of their own constituents must be first and fully attended to, and hence the amount of consideration which the interests of Red River or Rupert’s Land will receive at their hands is likely to be very small.»4
Le journal déplore qu’il n’y ait pas de représentants de la colonie de la Rivière-Rouge à la conférence de Charlottetown. Il est intéressant de noter que l’inquiétude des éditeurs par rapport à la représentation des intérêts de la colonie s’avérera vraie lorsqu’en 1869 le Canada achètera les droits de la Terre de Rupert à la Compagnie de la Baie d’Hudson, mais que ce sera alors un autre parti dans la colonie qui s’inquiètera de ses intérêts.
En dépit du temps qui passera entre la Conférence de Charlottetown et les négociations entre le Canada et la Compagnie de la Baie d’Hudson, les éditeurs du Nor’Wester restent fermes dans leur objectif d’annexion au Canada pour une colonisation et le développement agricole de la colonie. Il y aura même des menaces d’annexion aux États-Unis et des exagérations de mécontentement des résidents de la colonie; tout pour encourager le Haut-Canada à poursuivre une politique d’annexion. De 1859 à 1869, The Nor’Wester changera de propriétaires et d’éditeurs, mais maintiendra sa vocation d’appuyer l’annexion ou la confédération. Ce sera en 1865, lorsque John C. Schultz devient le propriétaire unique du Nor’Wester, que le journal deviendra plus catégoriquement anti-Compagnie. Dans un éditorial de novembre 1866, le journal tranche pour la confédération :
«What we have now seriously to consider would we be more prosperous as a separate Crown Colony?or as a part of the grand Confederation of British North America? To secure energy, enterprise and wealth, we should certainly arrive at that, with greater ease, and in less time, as a part of the Con[f]ederation of British North America, than as a separate and struggling young Colony; besides, our interests are identical, with those of Confederation, that which we would be unable to do ourselves in internal improvements, England and Confederation would assist us, further, being able to assume with greater dignity our importance in the Legislative halls, and the eyes of the public.»5
Il ajoute:
«There is nothing can be said against the colonisation of the great central district of the Red River, the Saskatchewan and the Assiniboine, but everything to be said in its favor and its consolidation with Canada and the maritime provinces, as it is desirable, if not imperative, to prevent this large country from being overrun and settled by the Americans.»6
En prenant position dans la colonie avant la grande émigration post-confédération, les Canadians veulent convaincre la majorité métisse à appuyer l’annexion au Canada. Et il y a toujours des Métis anglophones et francophones qui sont prêts à signer les pétitions qui circulent. Pourtant, le groupe Canadian n’apprécie pas les valeurs métisses: seule la civilisation britannique peut apporter le progrès. On trouve dans leur attitude orangiste une condescendance envers les Catholiques, les Francophones, les Métis: bref, tout ce qui n’est pas anglais. Mgr Taché s’en apercevra rapidement quand les éditeurs du Nor’Wester refusent d’imprimer la nécrologie pour Sœur Valade, décédée en 1862:
«Dès le jour de l’inhumation [de Sr. Valade] Mgr nous demanda des notes sur notre chère mère; Sa Grandeur voulait rendre encore ce témoignage de son respect pour elle qu’Elle regrette tant, de faire connaitre au public une petite esquisse de sa vie. Mais ici encore, une contradiction attendait ce bon Père. Mr Oram s’était chargé de faire parvenir sa correspondance aux Éditeurs du Nor’Wester, mais ceux-ci qui d’après ce que dit l’un d’eux aurait eut des reproches de ce qu’il se montre trop prompte à louer les Catholiques et leurs institutions, objectèrent qu’ils ne pouvaient publier cette lettre que comme une annonce mais qu’ils le feraient à moitié prix. La lettre de l’Editeur avait d’abord exprimé la crainte qu’en publiant la chose comme une correspondance, vu les antécédents cela pourrait finir par intéresser les affaires pécuniaires.»7
Les propos flatteurs sur la géographie et le climat du Nord-Ouest que le Nor’Wester et les Canadians envoient en Ontario pour attirer les émigrants, ainsi que le traitement qu’ils font des Métis dans ces articles souvent réimprimés dans le Globe de Toronto, attirent aussi des commentaires des résidents de la colonie. Dans une lettre à son frère, publiée dans le Globe, Charles Mair, embauché par McDougall et travaillant au chemin Dawson reliant la Rivière-Rouge au lac des Bois, fit des remarques désobligeantes envers sur les Métis et leur mode de vie:
«The half-breeds are the only so people here who are starving. Five thousand of them have to be fed this winter, and it is their own fault, they won’t farm. They will hunt buffaloes, drive ox-carts 500 miles up and 500 miles back to St. Cloud, at the rate of twenty miles a day: do anything but farm. Hitherto, it was easy to live here that it didn’t matter whether they farmed or not; but the grasshopper put a stop to that last summer, and now they are on their beam-ends. As for the farmers: Scotch, English and French, not one of them requires relief; other than seed wheat, which they are quite able to pay for… As for the future of this country, it is as inevitable as to-morrow’s sunrise…»8
À cette époque, la colonie de la Rivière-Rouge avait subi deux années d’invasion de sauterelles, et la famine ne pouvait être contrée que par des aumônes envoyées du Canada, de l’Angleterre et des États-Unis.
Se voyant comme précurseurs de la cause du Canada, ce groupe d’émigrants semble se soucier moins du présent que de l’avenir. Il s’attend à pouvoir se donner un gouvernement responsable grâce au gouvernement canadien, sans toutefois en faire une demande précise. Ayant conservé les liens avec les annexionnistes du Haut-Canada, ils sont convaincus que la confédération leur sera avantageuse. Leur but d’implanter au Nord-Ouest une « civilisation » impérialiste et anglo-saxonne n’accorde pas de place à ceux qui valorisent une « civilisation » autre, tel que celle des Métis. Les valeurs véhiculées par le groupe « Canadian » reflètent celles des orangistes et impérialistes de l’Ontario, et leur manque de soucis pour régler les différends qui se trouvaient dans la colonie à la fin des 1860, soucis qui seront noyés avec l’émigration d’Ontariens, seront la cause de bien des ennuis qui auront des répercussions jusqu’à nos jours.
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1 Prospectus of the Nor’Wester, 22 août 1859, http://manitobia.ca/content/en/newspapers/Nor’Wester%20(1859)/1859/08/22/Olive
2 Nor’Wester, 14 février 1860, p. 2 http://manitobia.ca/content/en/newspapers/NWR/1860/02/14/2/Ar00200.html/Olive
3 Nor’Wester, 28 avril 1860, p. 2 http://manitobia.ca/content/en/newspapers/NWR/1860/04/28/2/Ar00200.html/Olive
4 Nor’Wester, 17 octobre 1864, p. 2 http://manitobia.ca/content/en/newspapers/NWR/1864/10/17/2/Ar00200.html/Olive
5 Nor’Wester, 17 novembre 1866, p. 2
6 Ibid
7Lettre des Soeurs Grises de l’hôpital St-Boniface à la maison-mêre à Montréal, 13 juin 1861, SHSB, CACRSB, Série Alexandre Taché, T0594.(souligné dans l’original)
8Lettre de Charles Mair à Holmes Mair 19 novembre 1868, réimprimée dans le Perth Courrier et le Toronto Globe le 4 janvier 1869, dans W.L. Morton, Alexander Begg’s Red River Journal and other papers relative to the Red River Resistance of 1869-70, p. 396.
Pour l'annexion aux États-Unis
Un autre groupe existait dans la colonie qui avait des préférences pour l’annexion, mais avec les États-Unis. Conscients du fait que la colonie de l’Assiniboia et la Terre de Rupert faisaient partie de l’Amérique du Nord Britannique, ce groupe est plus discret que le « Canadian Party ». Ce groupe est constitué surtout d’entrepreneurs, tel que Norman W. Kittson, qui avait un magasin à Saint-Boniface et un autre à Pembina, au sud de la frontière avec les États-Unis. Son épouse, fille de Narcisse Marion, de Saint-Boniface, affermissait ses liens avec les Métis, qu’il embauchait pour le transport de marchandises. Les marchands américains voient l’avantage des voies de communications et d’échanges entre la Rivière Rouge et Saint-Paul, Minnesota, et monopolisent la navigation à vapeur sur la rivière Rouge. Ce chemin est plus facile et plus court que celui de la baie d’Hudson, ou que celui reliant la colonie au Canada en passant par les grands lacs, qui ne sera pas terminé avant la confédération. Les courants économiques nord-sud tirent donc en faveur des annexionnistes américains, et la plupart croient que ces liens apporteront la colonie à demander l’annexion aux États-Unis.
Le groupe américain ne poursuit donc pas le projet d’annexion avec autant de brio que le « Canadian Party ». Mais il tentera d’influencer les Métis au sein du gouvernement provisoire, en 1869. Lorsque le gouvernement provisoire est réorganisé, en décembre, W.B. O’Donoghue en est le trésorier. D’ascendance irlandaise, O’Donoghue militera pour l’annexion aux États-Unis, et, après la confédération, sera mêlé à l’attaque Fenian de 1871 sur le Manitoba.
Un autre américain, l’avocat Enos Stutsman, jouera aussi un rôle auprès des Métis, comme aviseur politique et en publiant un journal pro-américain. Quand le gouvernement provisoire ferme le Nor’Wester en 1869, le Red River Pioneer, dont seulement un numéro a été publié, paraît le 1er décembre 1869. Il reprend des propos parus en Colombie britannique en faveur de l’annexion au Canada, propos qui s’appliqueraient également à la colonie de la Rivière Rouge:
« … we are almost entirely dependent on the neighboring portions of the United States for the necessaries of life, which are subject to heavy duties on arrival at this colony. » It is evident that the United States is the only Nation to whom we can look for the enterprise, energy, business talent and capital needed to inaugurate such improvements as the welfare of this people demand, and to furnish the military protection which it is so highly necessary to enjoy.1
Sans surprise, le journal se montre très critique envers le Nor’Wester et le « Canadian Party »:
[…] its late conductors, desperate under the difficulties they experienced in creating interest abroad in favor of the Red River Settlement, were compelled to attempt doing so more effectually by representing its people as a prey to political evils of a nature which very properly excites the indignation of free subjects and citizens of all countries. […] The considered zeal with which the government and the people of Canada have accepted the sentiments of the Nor’-Wester as being those of this people, accounts to a great extent for the present condition of Red River Settlement.2
L’article se termine en condamnant l’éditeur du Nor’Wester pour avoir même changé des documents officiels du Canada à des fins politiques, et le Pioneer se proclame moins biaisé et plus véridique dans ses reportages. Mais, de la même façon que le Nor’Wester faisait la propagande en Ontario, les reportages de Stutsman envoyés au St Paul Daily Press ne donnaient pas une image véridique des événements à la Rivière Rouge. Que ces reportages soient repris au Canada anglais n’aidait en aucune façon à pacifier la situation.
Quoiqu’il en soit, le seul numéro du Red River Pioneer ne fut pas très populaire dans la colonie, et le prochain hebdomadaire publié localement, The New Nation, qui paraîtra du 7 janvier au 3 septembre 1870, changera rapidement de ton lorsque le parti américain perdra son influence. Selon l’entrée du 7 janvier 1870 du journal d’Alexander Begg , sympathique aux Métis:
Annexation although it might ultimately benefit the country generally will not be for the good of the present settlers especially the French. The class of settlers that will flow in here from the States will not be of the kind we require–and the Americans as a rule are not the people to care much for the condition and interests of the people now here as long as their go-ahead-ism is not interfered with–Canada although she has committed grave blunders with regard to this country would be the best annexation we could adopt as long as she will repair the error she has committed.3
L’influence américaine était-elle une tactique du gouvernement provisoire pour encourager le gouvernement du Canada à négocier? Il est probable que le consul américain et les entrepreneurs de St.Paul qui y voient la « Destinée manifeste » américaine, unissant le Nord-Ouest et l’Alaska nouvellement acquise au territoire américain. Pour leur part, les gens de la colonie Assiniboia, avec les voyages d’échanges et le commerce avec à St. Paul, d’abord en charrette puis en bateaux à vapeur sur la rivière Rouge, ont de forts liens commerciaux avec les États Unis. Beaucoup de Métis ont aussi des liens de parenté avec les Métis de Pembina et de St. Joseph, car le contrôle à la frontière limitant les voyages libres est chose récente.
Les annexionnistes américains accepteront la décision du gouvernement provisoire de se joindre au Canada. Dans une lettre du 12 mars 1870, Joseph Lemay, chef Métis de Pembina, écrit à Mgr Taché: « Les Américains aimeraient beaucoup la Rivière Rouge, mais ils ne feront jamais guerre pour son acquisition. J’en ai l’assurance du Sénateur Ramsay. » Seulement un petit groupe, les Fenians, refusent le choix, mais leur raid improvisé sur le Manitoba, en 1871, sera repoussé fermement par tous les résidents de la Rivière-Rouge.
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1 Red River Pioneer, 1er décembre 1869, p. 2 (Dans son journal, Alexander Begg y réfère sous le nom de New Nation, qui paraîtra lorsque le gouvernement provisoire ferme les portes du Pioneer.)
2 Ibid.
3 Begg’s Red River Journal and Other Papers Relative to the Red River Resistance of 1869-1870, p. 254.
Lettre de Joseph Lemay à Mgr. Taché, 12 mars 1870, SHSB, CACRSB, Fonds Taché, T7196
La Confédération ... avec des conditions ... les Métis français
Le plus gros groupe dans la colonie en 1870 était celui des Métis (habituellement de souches francophones et catholiques) et des « Half-Breeds » (habituellement des Métis de souches anglophones et protestantes). Unis par la culture autochtone de leur mère, ils sont néanmoins divisés par celle de leur père, par la langue et par la religion. Il y a peu d’écrits venant directement de ces groupes, et leurs positions doivent être déduites à partir des autres documents qui nous sont parvenus. Il est certain par contre que ce sont les Métis francophones qui initient la résistance de 1869-70.
La venue des « Canadians », faisant beaucoup de bruit contre le gouvernement de la Compagnie de la Baie d’Hudson, et se considérant comme la prochaine classe dirigeante, blanche et protestante, ne peut que déplaire aux Métis francophones et catholiques. Les « Canadians » jugent les Métis peu éduqués et donc susceptibles à la propagande du gouvernement de la colonie. À cause de leur bienveillance à l’égard des prêtres dirigés par Mgr Taché, la population anglaise tient pour acquis que le clergé dirige les Métis, et que ceux-ci sont incapables par eux-mêmes de décider leur avenir. Bien que certains prêtres canadien-français, tels que les abbés Joseph-Noël Ritchot, Louis Raymond Giroux et Georges Dugas, s’impliquent aux côtés de leurs paroissiens métis dans leur résistance, la plupart des prêtres tentera de rester à l’écart de la politique. L’influence calmante de Mgr Taché sera absente, car il sera parti au premier Concile Vatican qui débute le 8 décembre 1869.
En février 1869, une lettre paraît dans Le Nouveau Monde de Montréal pour désabuser les gens du Canada de la propagande du Nor’Wester et du Globe de Toronto. Il répondait à une lettre de C. Mair, qui prévoyait un avenir brillant au nord-ouest tout en critiquant les Métis2.
Le climat de la Rivière Rouge dit M. Mair, dans sa lettre est des plus agréables. Au 19 novembre il n’y a pas trois degrés de froid. Je l’avais bien entendu dire, mais je la connais par expérience maintenant.
Voyez-vous! S’il fût arrivé ici de nuit, et qu’il eût pu écrire à l’instant ses impressions, il aurait dit de même: « Ici le soleil ne se lève jamais; les ténèbres les plus épaisses couvrent toujours ces immenses contrées. » […]
Le pays, ajoute-t-il, est d’une richesse inconcevable: ceux qui veulent cultiver sont tous riches; les métis seuls sont dans la misère.
Eh bien, je suis métis moi et je dis qu’il n’y a rien de plus faux que ces paroles. Je connais presque tous les noms de ceux qui reçoivent des secours cet hiver, et je puis assurer qu’il y en a de toutes les couleurs. Il y a des métis qui n’implorent pas la charité, comme il y a des anglais, des allemands et des écossais qui la reçoivent chaque semaine.
Ce n’était donc pas assez pour ces messieurs de venir insulter à la misère de notre pays en faisant travailler à vil prix des malheureux pressés par la faim, il fallait encore semer à l’étranger des mensonges, pour faire croire aux gens que les aumônes envoyées à la R.R. n’étaient pas nécessaires…
Vous parlez bien d’autres choses que vous n’avez pas eu le temps de voir ni de connaître; ça vaudrait bien autant que le reste de votre lettre; tout autant les termes peu courtois, et je dirai même peu civilisés, dont vous vous servez en parlant des dames du pays, qui certes sous tous les rapports, valent bien les dames de votre pays.3
La lettre, écrite et envoyée par L. R., continue:
Soit dit en passant, M. Mair, si nous n’avions que vous pour échantillon des hommes civilisés, nous n’en aurions pas une bien haute idée. […]
Nous sommes habitués à voir arriver chaque année, de ces étrangers qui viennent nous toiser du haut en bas et qui vont ensuite faire imprimer dans les journaux ou dans de gros livres, leurs réflexions plus ou moins biscornues sur nous et notre pays; mais après le fléau qui nous a frappés, obligés que nous sommes de recourir à la charité publique, j’ai cru qu’il était de mon devoir de protéger contre des mensonges qui pourraient en pays étrangers, faire regarder comme inutiles les aumônes envoyées à la Rivière Rouge.4
L’opposition entre les « Canadians » et les Métis se développe par rapport aux terres. Dans une lettre à Mgr Taché, parti au Concile à Rome, le père G. Dugas écrit en juillet:
Vous savez qu’il arrive des étrangers du Haut Canada pour s’établir dans le pays, et Monsieur Mair et Schultz semblent être les deux agents chargés de la place. La semaine dernière il paraît que M. Mair en a dirigé un certain nombre vers la Pointe longue près de l’emplacement de la nouvelle Chapelle. En arrivant là ils se sont mis à tirer des lignes; et à charoyer du bois pour bâtir– ils ont même creusé un puit assez profond, pour avoir de l’eau. — Dès que les Métis de Saint-Norbert ont connu la chose, ils sont allés en grand nombre de sept-ou huit pour arrêter ces travaux et signifier aux gens l’ordre de se retirer. […]5
De façon presciente, Dugas continue:
Pour moi je pense que si le nouveau gouvernement froisse les Métis, il aura du fil à retordre avec eux. Ceux qui lisent les journaux, et qui voient la résistance qu’a apposée la nouvelle Écosse, disent qu’ils ont bien le même privilège que ce pays de défendre leurs droits, et que si on les a acheté sans leur en parler ils ne se livreront pas sans voir les conditions6
et ceci deux mois avant que les Métis arrêtent les arpenteurs du gouvernement canadien près de Saint-Norbert. Il y aura d’autres cas de réclamation de terres par les « Canadians » sur des terres métisses et premières nations, dans la région de Ste-Anne, qui renforciront la méfiance.
Le 19 juillet, 1869, le Métis francophone et conseiller d’Assiniboia William Dease organise une réunion au Fort Garry. Selon une lettre de Dugas à Taché, le but de cette assemblée était de « réclamer les droits des Métis vendus au Canada par la compagnie: les trois cent mille louis qu’elle va recevoir nous appartiennent. Il faut avertir le Canada de na pas lui donner, mais de nous les donner à nous. » Selon Dease, la terre appartient aux Autochtones et aux Métis, et leurs droits n’ont pas été cédés à la Compagnie de la Hudson Bay. C’est John Bruce qui rétablit le calme en déclarant que personne ne veut une révolte contre le gouvernement. Mais l’idée que la terre n’appartienne pas à la compagnie, et ne peut être vendue au Canada, fera son chemin.
Ce que le gouvernement canadien fera, et quelles instructions sont données à MacDougall, nul dans la colonie ne peut le savoir: ce sont des rumeurs qui circulent et les agitations des « Canadians » qui inquiètent les Métis. En 1874, devant le comité parlementaire qui examine les origines des troubles de 1869-70, Mgr Taché dira:
Je mets au nombre des causes les plus éloignées la formation, il y a des années, d’un parti dans la province d’Assiniboia qui s’intitulait le « Canadian Party ». Ce parti canadien eut d’abord les sympathies des habitants du pays, parce que toute la population désirait s’annexer au Canada à une certaine époque. Ce parti créa subséquemment une certaine animosité parmi la population par sa résistance aux lois. Ce parti comprenait, entre autres, ceux qui brisèrent les prisons et menacèrent ensuite les Métis de les chasser du pays. Il se composait de peut-être dix Canadiens et de quelques Métis qui se joignirent à eux. Le premier bris de prison eut lieu le 20 avril 1863, le second, le 21 avril suivant, et le troisième on 1867 ou 1868. Ces troubles furent cause que la population commença à éprouver des craintes sur son union avec le Canada. Cela se passait quatre ou cinq ans avant 1869.8
Il continuera en citant une lettre du gouverneur MacTavish, datée du 4 septembre:
Malheureusement chaque officier du gouvernement fédéral, en arrivant, se lie avec le Dr. Schultz et continue évidemment de s’entendre parfaitement avec lui. Nos amis, les Métis canadiens français, se doutent avec raison qu’une pareille alliance ne peut avoir pour eux de bon résultats et en conséquence, ils deviennent.de plus en plus hostiles au Canada. Si l’honorable Wm McDougall, en arrivant ici, montre le même faible, il y aura des troubles […]9
La résistance métisse serait donc survenue à cause des différends entre les Métis et les membres du « Canadian Party » et de l’association des envoyés du gouvernement canadien avec ceux-ci? Sans communication officielle des trois gouvernements qui ont réglé la cession du Nord-Ouest, peut-on s’attendre à ce que les Métis francophones et catholiques se fient à la bonne volonté d’un gouvernement inconnu, mais ami du « Canadian Party » décidément orangiste, pour sauvegarder ses droits?
Contrairement aux autres provinces canadiennes, qui étaient colonies de la couronne avant d’accéder à la confédération, la colonie de la Rivière Rouge n’a pas ce statut. Mais les Métis veulent faire reconnaître leur droit à la terre, droit qui découle en partie de leurs mères autochtones, mais également un droit par occupation. La venue des arpenteurs canadiens, avant que le territoire soit cédé au nouveau gouvernement, jouera contre celui-ci. Les Métis formeront un Comité national dès le 16 octobre, avec John Bruce comme président et Louis Riel comme secrétaire. Les raisons de leur mécontentement seront publiées dans une lettre au Courrier de Saint-Hyacinthe:
Depuis quelques temps, nous entendons parler de ce que le gouvernement général de la confédération prétend faire au sujet du territoire du Nord-Ouest. L’année dernière, Le Canada a fait avec le gouvernement impérial certains arrangements par rapport à ce territoire. Mais ces arrangements nous sont inconnus. Tout ce que nous savons, c’est qu’il a été question de nous envoyer Monsieur McDougall comme gouverneur. Ce Monsieur devait nous arriver avec un conseil formé en dehors du pays. Nous devions, il est vrai, avoir dans ce conseil certains membres des nôtres; mais assez peu nombreux pour n’être capable de rien dans les décisions de ce conseil.
Plusieurs journaux du Haut et du Bas-Canada ont librement émis leur opinion sur ce qu’il pouvait y avoir d’inconvénients dans l’organisation d’un tel gouvernement. Et à présent que le peuple Canadien a vu ces différents débats, ne serait-il pas content de savoir ce que le peuple de la Rivière Rouge pense lui-même de tout cela. Le voici:
Il ne paraît pas du tout disposé à recevoir un gouverneur canadien. Un conseil choisi et formé en dehors du pays ne devra pas espérer, nous pensons, voir ces décrets bien respecté. On peut juger par les démonstrations que la population métisse habitante de la Rivière Rouge vient de faire. Chaque paroisse c’est choisi deux représentants afin de prononcer en son nom sur les procédés du gouvernement canadien vis-à-vis le peuple de la Rivière Rouge. Et telles sont les résolutions que ces représentants ont passées dans leur première assemblée.
1o Ces représentants déclarent au nom de la population métisse-canadienne de la Rivière Rouge qu’ils sont sujets loyaux de Sa Majesté la Reine d’Angleterre.
2o Ces représentants se reconnaissent au nom de la population métisse-canadienne de la Rivière Rouge recevables à l’honorable compagnie de la baie d’Hudson de la protection qu’ils ont reçue sous le gouvernement de cette honorable compagnie quelle que soit la nature de ce gouvernement.
3o Le peuple de la Rivière-Rouge ayant jusqu’aujourd’hui maintenu et supporté le gouvernement de l’honorable compagnie de la Baie d’Hudson qui a été établi dans le pays pas la couronne d’Angleterre, les dits représentants déclarent, au nom de la population métis-canadienne de la Rivière-Rouge que Snow et Dennis ont méconnu le droit des gens en venant établir ici des travaux, au nom d’une autorité étrangère sans prêter aucune attention à l’autorité aujourd’hui existante dans le pays.
4o L’honorable compagnie de la baie d’Hudson se retirant maintenant du gouvernement de la Rivière-Rouge, les dits représentants déclarent, au nom de la population métis-canadienne de la Rivière-Rouge, qu’ils sont prêts à passer par ce changement-là. Mais, en même temps, étant établi, travaillant et vivant sur ces terres qu’il a aidé la compagnie de la Rivière-Rouge ayant acquis, de cette façon des droits incontestables dans le pays, les représentants de la population métis-canadienne de la Rivière-Rouge proclame hautement ces droits.
5o La colonie de la Rivière-Rouge ayant toujours été soumise à la couronne d’Angleterre, et s’étant développée à part, à travers les chances de sa situation, les dits représentants déclarent au nom de la population métis-canadienne de la Rivière-Rouge, qu’ils feront tout ce qui dépend d’eux, pour faire respecter, en leur faveur, les prérogatives accordées si libéralement par la couronne d’Angleterre à n’importe quelle colonie anglaise.
Voilà, Monsieur le rédacteur, ce que nous aimions à vous communiquer. Et ceux qui se donnent la liberté de vous transmettre ces choses ne seront pas les derniers à faire en sorte que les droits du peuple de la Rivière-Rouge soient respectés.
Nous avons l’honneur de nous souscrire, vos très humbles serviteurs,
Deux habitants métis-canadiens de la Rivière Rouge.10
Les Métis veulent assurer leurs droits politiques par un gouvernement représentatif et un régime politique semblable à celui du Québec. Ils veulent assurer que leur mode de vie, bien que disparaissant, ne soit pas bouleversé par l’arrivée d’émigrants du Haut-Canada avec un mode de vie et des valeurs différentes. Devant la « civilisation » anglo-saxonne protestante exclusive des « Canadians », les Métis s’affirment, comme ils l’ont fait à la Grenouillère, lors du procès Sayer, lors des invasions Sioux venues des États-Unis, et lorsque les Fenians tenteront une attaque sur le sol canadien en 1871.
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Voir l’article VII sur les Métis anglophones pour mieux comprendre pourquoi la population blanche anglophone aurait cette impression.
Pour plus de détails sur la lettre de Mair, voir l’artilce III sur le « Canadian Party ».
Lettre publiée dans Le Nouveau Monde de Montréal, le 23 février 1869, et réimprimé dans Les Ecrits Complets de Louis Riel, Vol. 1, p. 13-15.
Ibid.
Lettre de G. Dugas à Mgr Taché, 9 juillet 1869, SHSB, CACRSB, Fonds Taché, T6630-6631
Ibid, T6632
Lettre de Dugas à Mgr Taché, 29 juillet 1869, SHSB, CACRSB, Fonds Taché, T6695-6698
Rapport du comité spécial sur les causes des troubles du Territoire du Nord-Ouest en 1869-1870, Ottawa, 1874, p. 8 https://archive.org/details/cihm_51491
Lettre de W. McTavish a Mgr Taché, 4 septembre 1869, dans le Rapport du comité spécial sur les causes des troubles du Territoire du Nord-Ouest en 1869-1870, Ottawa, 1874, p. 8-9 https://archive.org/details/cihm_51491
Le Courrier de St-Hyacinthe, le 30 octobre 1869, p. 2. http://collections.banq.qc.ca/jrn03/lecourrierdesthyacinthe/src/1869/10/30/82592_1869-10-30.pdf
Selon W.L. Morton, les deux Métis seraient Louis Riel et John Bruce.
La confédération ... à une condition... les Premières Nations
Un autre groupe important pour la colonie est celui des Premières Nations. Le recensement de 1870 comptait 560 personnes de ce groupe dans la colonie permanente.1 Ce même recensement ne comptait pas la multitude d’Autochtones qui vivaient à l’extérieur de la colonie permanente d’Assiniboia, mais qui auraient eu affaire avec celle-ci, soit par la traite de fourrures ou autrement. La colonie existait en paix avec ceux-ci, mais s’inquiétait toujours qu’un groupe vienne perturber la paix. C’était la raison pour la pétition de 1862 demandant que la couronne envoie des soldats protéger la colonie menacée par des Chippewyans qui avaient commis des vols et des destructions près de Grand Forks. C’était aussi l’époque du développement de l’Ouest des États Unis et les campagnes militaires contre les Autochtones. Les Sioux menacés s’aventuraient souvent au nord de la frontière. Puisqu’ils étaient ennemis traditionnels des Chippewyans, la présence des deux groupes près de la colonie y augmentait la tension.
Après avoir fondé la colonie d’Assiniboia, Lord Selkirk avait conclu un traité avec les Chippewyans ou Saulteaux et les Cris pour les terres de cette colonie en 1817. Selon ce traité:
for and in consideration of the annual present or quit rent hereinafter mentioned, the said Chiefs have given, granted and confirmed, and do, by these presents, give, grant and confirm unto our Sovereign Lord the King all that tract of land adjacent to Red River and Ossiniboyne River, beginning at the mouth of Red River and extending along same as far as Great Forks at the mouth of Red Lake River, and along Ossiniboyne River, otherwise called Riviere des Champignons, and extending to the distance of six miles from Fort Douglas on every side, and likewise from Fort Doer, and also from the Great Forks and in other parts extending in breadth to the distance of two English statute miles back from the banks of the said rivers, on each side, together with all the appurtenances whatsoever of the said tract of land, to have and to hold forever the said tract of land and appurtenances to the use of the said Earl of Selkirk, and of the settlers being established thereon, with the consent and permission of our Sovereign Lord the King, or of the said Earl of Selkirk. Provided always, and these presents are under the express condition that the said Earl, his heirs and successors, or their agents, shall annually pay to the Chiefs and warriors and successors, or their agents, shall annually pay to the Chiefs and warriors of the Chippeway or Saulteaux Nation, the present or quit rent consisting of one hundred pounds weight of good and merchantable tobacco, to be delivered on or before the tenth day of October at the forks of Ossiniboyne River and to the Chiefs and warriors of the Killistine or Cree Nation, a like present or quit rent of one hundred pounds of tobacco, to be delivered to them on or before the said, tenth day of October, at Portage de la Prairie, on the banks of Ossiniboyne River.2
Jusqu’en 1869, les Autochtones dits « permanents » étaient Cris (Nehiyawak) et Saulteaux (Anishinaabe), et suivaient le chef Peguis, le dernier survivant des signataires du traité avec Selkirk. En 1857, une lettre qu’il avait écrite à la « Aborigines Protection Society » de Londres fut présentée au comité parlementaire impérial qui examinait la compagnie de la Baie d’Hudson.
Many winters ago, in 1812, the lands along the Red River, in the Assiniboin country, on which I and the tribe of Indian of whom I am chief, then lived, were taken possession of without permission of myself or my tribe by a body of white settlers. For the sake of peace I, as the representative of my tribe, allowed them to remain on our lands on their promising that we should be well paid for them by a great chief, who was to follow them. This great chief whom we call the Silver Chief (the Earl of Selkirk), arrived in the spring after the war between the North-west and Hudson’s Bay Companies (1817). He told us he wanted our land for some of his countrymen, who were very poor in their own country, and I consented, on the condition, that he paid well for my tribes’ lands, he could have from the confluence of the Assiniboin to near Maple-sugar Point, on the Red River (a distance of 20 or 24 miles), following the course of the river, and as far back on each side of the river as a horse could be seen under (easily distinguished). The Silver Chief told us he had little with which to pay us for our lands when he made this arrangement, in consequence of the troubles with the North-west Company. He, however, asked us what we most required for the present, and we told him we would be content till the following year, when he promised again to return, to take only ammunition and tobacco. The Silver Chief never returned, and either his son or the Hudson’s Bay Company have ever since paid us annually for our lands only the small quantity of ammunition and tobacco which, in the first instance, we took as preliminary to a final bargain about our lands. […]
Those who have since held our lands, not only pay us only the same small quantity of ammunition and tobacco, which was first paid lo us as a preliminary to a final bargain, but they now claim all the lands between the Assiniboin and Lake Winipeg, a quantity of land nearly double of what was first asked from us. We hope our Great Mother will not allow us to be treated so unjustly as to allow our lands to be taken from us in this way.3
Il annonçait donc qu’il faudrait conclure un deuxième traité avant d’occuper cette terre. Le Nor’Wester rapporta qu’un concile de chefs, tenu en septembre 1863, conclut que les terres avaient été cédées, mais seulement pour vingt ans4.
Au mois d’octobre suivant, le chef Peguis ajouta qu’au moment des pourparlers en 1817, Selkirk annonça qu’il ne pourrait conclure le traité, parce qu’il n’avait pas les moyens de payer les chefs. Selkirk leur offrit de la poudre à fusil et du tabac, en prévision de l’accord qu’ils feraient l’année suivante. Convainquant les chefs de signer, il ne revint pas terminer l’accord. Peguis dit:
We did not see why he pressed us to sign; but I now think, it was in order to have us in his power, should he not do what he promised. He did not tell us what was in the paper, and I regret to say we did not even ask him what was in it. That was our ignorance. It was a great mistake, as after events showed Lord Selkirk never came back, and never completed the arrangements about the lands. Our lands have not been bought from us–we have not received payment for them. We got something from time to time–small supplies– but less and less, as time rolled along, until we got nothing.5
Selon lui, les Premières Nations n’avaient donc pas cédé à Selkirk ou à la Compagnie de la Baie d’Hudson leur souveraineté sur les terres de l’Assiniboia. Cette lettre annonçait d’autres problèmes qui surgiraient pour les nouveaux arrivants.
Le Nor’Wester mentionna en 1868 que la « Aborigines Protection Society » d’Angleterre avait écrit au gouvernement impérial réclamant que la question des droits autochtones soit définitivement réglée dans le Territoire du Nord-Ouest. En 1869, le Nor’Wester, afin de calmer les inquiétudes des futurs émigrants, déclara:
…while the Indians are willing to come to an arrangement with the settlers and have made tacit arrangements, still the Indian title is not extinct, neither will it be until the government arrange with them by treaty. There will never be any difficulty in treating with them for their rights, and if all treaty stipulations are properly carried out upon the part of the government, there will never be any trouble with them6.
Mais lorsqu’il se présente des conflits d’intérêts au sujet des terres prises par les émigrants, le Nor’Wester montre ses couleurs:
The Indians in the neighborhood of Portage La Prairie are attempting to interfere with the settlers by forbidding any further encroachments upon what they claim as their own soil. It undoubtedly belongs to some of the tribes, but we doubt very much if the Ojibeways, who are strutting about up there just at present, have any more right in that particular region than the white man himself. One of the very first acts of the Dominion Government should be to treat with them and the Crees and get them set off on reserves7.
La bande de Peguis, établie dans la colonie, ne s’opposera pas à la confédération, tout en faisant savoir au gouvernement canadien qu’il faudrait traiter de la question des droits autochtones avant de pouvoir ouvrir le territoire du Nord-Ouest à la colonisation. Les Premières Nations plus éloignées de la colonie de la Rivière-Rouge, tels que ceux près de Portage-La-Prairie, utiliseront plus de muscle afin de convaincre le gouvernement de l’importance de cette question.
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1 Recensement de 1870, cité dans Pannekoek, 1991, p. 18
2 Dans Oliver, E.H., The Canadian North-West: Its Early Development and Legislative Records, Minutes of the Councils of the Red River Colony and the Northern Department of Rupert’s Land, Vol. 2, Ottawa, 1915, p. 1288-1289
3 Lettre de Peguis, imprimé dans Great Britain (1857) Report from the Select Committee on the Hudson’s Bay Company; Together with the Proceedings of the Committee, Minutes of Evidence, Appendix and Index (Londres; Parliament) p. 445-446 https://archive.org/details/cu31924032193975
4 Nor’Wester, 10 septembre 1863, p. 2
5 Nor’Wester, 14 octobre 1863, p. 3
6 Nor’Wester, 26 février 1869, p. 2
7 Nor’Wester, 5 juin 1869, p. 2
La Confédération ni pour ni contre - Les Métis anglophones
Le second groupe métis, celui des Anglophones, ne se porte pas à la résistance comme les Métis francophones. À moitié anglais, et de religion protestante, ils ont plus d’affinités avec la classe dirigeante de la colonie, ainsi qu’avec les « Canadians ». Comme les Métis francophones, adhérents à la religion catholique et bienveillants envers ses prêtres, les Métis anglophones, nommés « Half-breeds », sont attachés aux ministres protestants, anglicans et presbytériens. Ces attachements vont les tirer dans différentes directions à mesure que les tensions montent, mais pas assez sérieusement pour qu’ils prennent les armes contre un gouvernement ou l’autre.
Les attitudes racistes des directeurs de la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui avaient souvent marié des femmes autochtones à la façon du pays, mais qui empêchaient la promotion des Métis anglophones au sein de la compagnie, ne favorisaient aucunement l’épanouissement économique de ceux-ci. Certains Métis anglophones, tels que William Isbister et Alexander Ross, quittèrent la colonie pour s’éduquer, mais la plupart étaient contents de suivre les directives du clergé, de la compagnie, ou des gens plus instruits. Étant donné les préjugés des blancs, les Métis anglophones se rapprochèrent de leur identité britannique. Ils adoptaient plus volontiers l’agriculture et la sédentarisation comme mode de vie que les Métis francophones ne le faisaient.
L’arrivée des « Canadians » suivant Dawson et Hind, perturba la paix qui existait dans les paroisses protestantes. Les démêlées du pasteur Corbett avec la cour judiciaire de la colonie en 1862 accentuèrent les divisions sectairiennes dans la communauté. L’opposition entre les pétitionnaires pour une colonie de la couronne et les annexionnistes avec le Canada encouragea la rupture des points de vue. Selon Frits Pannekoek:
«No one élite group emerged to seize the leadership and every important question generated only intense quarrelling. Rather than putting forward solutions, each faction advanced its own social and political ends, whether for Crown Colony status, annexation to Canada, or Protestant supremacy. Halfbreeds, uncertain of whether they owed their principal allegiance to their race, their religion, their kinfolk, or their Company heritage, were open to persuasion that it was religion, by any factious clergyman or demagogue who wished to use them to further his own needs.»1
Malgré l’avènement de ministres protestants issus du peuple métis anglophone, le clergé avait lui aussi des préjugés raciaux. L’évêque anglican Machray se tourna volontiers vers un rêve d’agrandir son église avec l’arrivée d’émigrants du Canada.
«No reliance was to be placed on the Halfbreed. They were considered too poor, too ignorant, and too weak to serve as the foundation upon which to build a new West. Machray (bishop) so detested the petty, poverty-stricken community and so longed for a prosperous peopled West that his principal concern became the preparation of the institutional Church for the union with the Canadian Confederation.2»
Le parti « Canadian », opposé comme il l’était au gouvernement de la colonie, ne put lui non-plus se proposer pour représenter l’intérêt des « Half-breeds » vis-à-vis des Métis.
«Had the clergy decided to provide some leadership for the Halfbreeds during an armed resistance against Riel, they might have regained some of their lost prestige. Because of the clergy’s reluctance to become involved, however, and because of the lack of unity of the Protestant élite (a result of the racial and religious schisms of the 1850s) the Halfbreeds turned to the Canadians for leadership. The new Canadian immigrants at Portage la Prairie and Winnipeg were, however, not yet sufficiently established to provide viable alternatives to the clergy and individual Halfbreed leaders. The resistance occurred, then, in a period of social transition. There was no effective Protestant counter to Riel.3»
Sans direction, les Métis anglophones restent donc tranquilles.
Dans un article paru dans le Montreal Herald, le 27 novembre 1869, J.J.Hargrave, alors secrétaire au gouverneur MacTavish, rapporte que:
«The English half-breeds have altogether abstained from taking any part in the demonstrations now being made. They, however, will not actively oppose them, and profess no sentiments of loyalty whatever to the Canadian authorities. The entire population of Red River, in fact, with the exception of those now in arms, and a few Canadians lately arrived, are anxious only to preserve the tranquility of the colony, and destitute of any enthusiasm in the matter.4»
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1 Pannekoek, Frits (1991) A Snug Little Flock: The Social Origins of the Riel Resistance 1869-70, Winnipeg, p. 141
2 Ibid, p. 176
3 Ibid, p. 176
4 Article de J.J.Hargrave paru dans le Montreal Herald le 27 novembre 1869, et réimprimé dans Alexander Begg’s Red River Journal and other papers relative to the Red River Resistance of 1869-1870, Toronto, The Champlain Society, 1956, p.416
La Confédération ni pour ni contre - Les Écossais et les Anglais
De même que les Métis anglophones, les Écossais descendants des émigrés de Selkirk, et les autres Anglais restent tranquilles. Étant marchands ou agriculteurs, ils ne voient aucun inconvénient à l’annexion au Canada, qui leur promet le développement économique de la colonie. Certains croiront même que, depuis le début de la colonie de Selkirk, la compagnie de la Baie d’Hudson a tout fait pour entraver le développement économique de celle-ci.
La plupart de ces gens, originaires du Royaume-Uni, sont aussi bien disposés envers la couronne, et sont confiants que les gouvernements de celle-ci respecteraient leurs droits qui sont, après tout, des droits britanniques. Ils ne prendront pas les armes contre les représentants du gouvernement canadien, ni contre la compagnie. Et même s’ils ne sont pas d’accords avec les Métis, ils hésiteront longuement avant de prendre les armes contre eux. Certains s’exprimèrent clairement aux représentants de McDougall:
«The character of the new Government has been settled in Canada without our being consulted. We are prepared to accept it respectfully, to obey the laws and to become good subjects; but, when you present to us the issue of a conflict with the French party, with whom we have hitherto lived in friendship, backed up, as they would be, by the Roman Catholic Church, which appears probable by the course at present being taken by the priests, in which conflict it is almost certain the aid of the Indians would be invoked, and perhaps obtained, by that party, we feel disinclined to enter upon it, and think that the Dominion should assume the responsibility of establishing amongst us what it, and it alone, has decided upon1.»
Ne voulant exacerber les tensions dans la colonie, ils devront être encouragés par Donald Smith, envoyé du gouvernement canadien, à participer aux conventions et aux élections du gouvernement provisoire pour se faire représenter adéquatement dans les discussions qui auront lieu avec le Canada.
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1 Lettre de J.S. Dennis à William McDougall, 27 octobre 1869, publiée dans Oliver, E.H., 1914-15, The Canadian North-West: Its Early Development and Legislative Records, minutes of the councils of the Red River Colony and the Northern Department of Rupert’s Land, p. 881-882.
Conclusion
La colonie de la Rivière-Rouge, sous le gouvernement de la Compagnie de la Baie d’Hudson, n’a jamais été constituée d’une population homogène. Créée en partie par des colons écossais de Selkirk, des descendants des employés des compagnies du Nord-Ouest et de la Baie d’Hudson s’y ajoutèrent, ainsi que des autochtones qui étaient déjà sur place bien avant des Européens et des Canadiens. Quelques hommes blancs, venus du Canada français et de l’Angleterre, pour prendre des postes dans la hiérarchie gouvernante de la compagnie, pour répandre le christianisme sous ses couleurs catholiques ou protestantes, ou simplement pour y faire le commerce, s’ajoutèrent au mélange.
C’était donc un mélange de races, de cultures, de langues et de religions qui existait sur les rives de la rivière Rouge. La communauté était relativement pacifique et respectueuse des lois et des différences entre les groupes constituant la colonie. Mais ce n’est pas dire qu’il n’y avait pas de tensions. Le gouvernement de la Compagnie travaillait aux intérêts pécuniers de celle-ci, mais était ramené à l’ordre par les intérêts défendus par les colons, comme c’était le cas dans le procès Sayer en 1849 qui ouvrit la porte au libre-échange des fourrures et de l’arrivée de marchands américains. La compagnie aidait aussi les ministres du culte, leur reconnaissant une influence bénéfique parmi les populations autochtones qui entouraient l’Assiniboïa, ainsi que sur les Métis francophones ainsi qu’anglophones. Vu la petite population de la colonie, les tensions entre le mode de vie agricole sédentaire et celui semi-nomadique de la chasse étaient moins fortes.
L’arrivée des expéditions Palliser et Dawson-Hind en 1857 augmenta l’intérêt du monde extérieur pour la colonie. Compte tenu des rapports qui décrivaient le climat sous un aspect favorable, la demande pour des terres augmenta et la présence de nouveaux arrivants, venus du Haut-Canada, aggravèrent les tensions dans la colonie. Ce groupe d’Orangistes n’y retrouvait pas la mentalité et l’attitude britannique unies par une langue et une religion. À haute voix, ils proclamèrent les « avantages de la civilisation », voire justement un impérialisme qui ne laissait pas de place à l’Autre non-britannique.
Ça ne devrait donc pas être trop surprenant que la vieille colonie se méfiait des nouveaux arrivés et de leurs liens au gouvernement du Canada qui, avec l’achat de la Terre de Rupert en 1869, se préparait à gouverner un pays sans vraiment le connaître et sans demander l’avis des principaux intéressés qui y vivaient. Que tous les représentants du gouvernement lointain arrivant dans la colonie tombent dans la poche du parti « Canadian » démontre aussi une myopie dogmatique qui ne pouvait sûrement pas encourager les autres groupes, surtout ceux qui ne partageaient pas la langue, la culture et la religion de ce parti. Ce sera ce groupe, celui des Métis francophones et catholiques, qui mènera la résistance au gouvernement du Canada, afin de sauvegarder les droits dont ils jouissaient dans la colonie d’Assiniboïa. Certains prêtres catholiques canadien-français les soutiendront afin que la Rivière-Rouge puisse progresser en suivant le modèle de la province du Québec, plutôt que celui de l’Ontario d’où sont issus les « Canadians ».
Les Acadiens du Nouveau-Brunswick et la Confédération
Dans un article intitulé Les Acadiens du Nouveau-Brunswick et la Confédération, publié dans la version Web d’Acadienouvelle, le professeur Me Michel Doucet c.r., donne un aperçu des passions soulevées au Nouveau-Brunswick face aux négociations d’entrée du Nouveau-Brunswick dans la Confédération canadienne.
Bibliographie
Archives de la Société Historique de Saint-Boniface :
- Fonds Corporation archiépiscopale catholique romaine de Saint-Boniface, Série Alexandre Taché
Journaux :
- Le Courrier de St-Hyacinthe, http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2581441
- Nor’Wester, 1859-1869, http://manitobia.ca/content/en/newspapers/Nor’Wester%20 (1859) et microfilms pour certains numéros non numérisés
- Red River Pioneer, 1er décembre 1869, http://manitobia.ca/content/en/newspapers/Red%20River%20Pioneer
- The New Nation, 1870, http://manitobia.ca/content/en/newspapers/New%20Nation
Livres, manuscrits et articles :
- Blay, Jacqueline (2010) Histoire du Manitoba Français: Tome 1 Sous le ciel de la Prairie, des débuts jusqu’à 1870 (Winnipeg; Les Éditions du Blé)
- Blay, Jacqueline (2013) Histoire du Manitoba Français: Tome 2 Le temps des outrages (1870-1916) (Winnipeg; Les Éditions des plaines)
- Begg, Alexander (1871) The Creation of Manitoba; or, A History Of The Red River Troubles (Toronto, A.H. Hovey), https://archive.org/details/creationofmanito00begg
- Benoît, Paul (1904) Vie de Mgr Taché, Archévêque de St-Boniface, 2 vols. (Montreal; Librairie Beauchemin). Vol. 1, https://archive.org/details/viedemgrtacharch01beno. Vol. 2, https://archive.org/details/viedemgrtachar02beno
- Canada (1874) Rapport du Comité Spécial sur les Causes des Troubles du Territoire du Nord-Ouest en 1869-70 (Ottawa; I.B. Taylor), https://archive.org/details/cihm_51491
- Champlain Society (1956) Alexander Begg’s Red River Journal and Other Papers Relative to The Red River Resistance of 1869-1870, with an Introduction by W.L. Morton (Toronto; The Champlain Society)
- Dauphinais, Luc (1991) Histoire de Saint-Boniface: Tome 1, à l’ombre des cathédrales, des origines de la colonie jusqu’en 1870 (Saint-Boniface; Les Éditions du Blé)
- Dawson, S.J. (1859) Rapport sur l’exploration de la contrée située entre le Lac Supérieur et la Colonie de la Rivière Rouge et entre ce dernier endroit et les rivières Assiniboine et Saskatchewan (Toronto: John Lovell), https://archive.org/details/cihm_44353
- Dorge, Lionel (1969-70) « Bishop Taché and the Confederation of Manitoba, 1869-1870« , MHS Transactions, Series 3, Number 26, 1969-70 season, http://www.mhs.mb.ca/docs/transactions/3/tacheconfederation.shtml
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- Pannekoek, Frits (1991) A Snug Little Flock: The Social Origins of the Riel Resistance of 1869-70 (Winnipeg; Watson & Dwyer)
- Peel, Bruce Braden (1974) Early Printing in the Red River Settlement 1859-1870, and its effect on the Riel Rebellion (Winnipeg; Peguis Publishers), http://peel.library.ualberta.ca/bibliography/10373/16.html
- Ross, Alexander (1856) The Red River Settlement: Its Rise, Progress, and Present State (London; Smith, Elder and Co.), https://archive.org/details/redriversettlem00rossgoog
- Taché, Alexandre (1869) Esquisse sur le Nord-Ouest de l’Amérique par Mgr. Taché, Évêque de St. Boniface 1868 (Montréal, Nouveau Monde), https://archive.org/details/esquissesurleno00tach
Internet :
- Le site de l’Institut Gabriel Dumont a beaucoup de documents numérisés qui traitent de l’histoire des Métis. http://www.metismuseum.ca/browse/index.php/1141
- Le site de Provisional Government of Manitoba offre également beaucoup d’informations sur la colonie de la Rivière-Rouge. https://hallnjean2.wordpress.com/
- Le site de la Manitoba Historical Society a aussi beaucoup d’informations et quelques documents numérisés qui traitent de la colonie de la Rivière-Rouge. http://www.mhs.mb.ca/