La fondation de la Société historique de Saint-Boniface

Il existe des liens très étroits entre le fort Saint-Charles, un des principaux établissements de La Vérendrye à l’Ouest du lac Supérieur au 18e siècle, et la fondation de la deuxième plus ancienne société d’histoire canadienne-française en 1902.
Construit en 1732 sur une petite baie de l’angle du Nord-Ouest du lac des Bois, le fort Saint-Charles est un entrepôt de ravitaillement et poste de traite pour les expéditions de Pierre Gaultier de Varennes, Sieur de La Vérendrye. L’endroit est très propice à la pêche, à la chasse et à la récolte du riz sauvage, appelé « folle avoine » par les voyageurs de l’époque. Le fort, nommé vraisemblablement en l’honneur du gouverneur Charles de Beauharnois et du jésuite Charles Mesaiger, qui fut le premier missionnaire à pénétrer à l’ouest du lac supérieur, joue un rôle clé dans les expéditions de La Vérendrye à la recherche de la « mer de l’Ouest ».
En 1736, le fort Saint-Charles est marqué par un événement notable de l’histoire du Manitoba français. Au début de juin, La Vérendrye envoie son fils aîné Jean-Baptiste avec un convoi de dix-neuf hommes à Michillimakinac pour chercher des vivres et des marchandises de traite. Ils sont accompagnés du missionnaire jésuite Jean-Pierre Aulneau, qui est arrivé au fort Saint-Charles l’année précédente. Arrêtés sur une petite île du lac des Bois, les 21 hommes sont surpris par une bande de Sioux des Prairies (Dakotas), et tous tués. Cette attaque fut provoqué par plusieurs facteurs, y compris le rôle de La Vérendrye comme trafiquant d’esclaves autochtones ainsi que fournisseur d’armes à feux aux ennemis des Dakotas. Les Dakotas subissent également d’importantes pertes lors du combat. La nouvelle du 6 juin 1736 est rapportée quelques semaines plus tard à La Vérendrye, qui décrit la tragédie dans des communications adressées au gouverneur général de la Nouvelle-France cette année-là. Au mois de septembre, l’explorateur envoie son sergent chercher les restes mortelles de ses hommes à « l’île au Massacre », et les inhume dans la chapelle du fort Saint-Charles. Le fort demeure le quartier général des activités de La Vérendrye pendant quelques années, mais il est abandonné après sa mort en 1749.
Le fort Saint-Charles est le seul fort bâti par la Vérendrye dont l’emplacement exact est enregistré et ce, grâce aux efforts d’un groupe de clercs et de laïcs du Manitoba qui deviennent les fondateurs de la Société historique de Saint-Boniface.
En 1890, peu après l’importante découverte des lettres du père Aulneau en Vendée, France, les Jésuites, qui sont à la direction du Collège de Saint-Boniface au Manitoba, organisent une première excursion pour visiter l’île où avait eu lieu le massacre en 1736. Se fiant à la tradition orale des Autochtones qui habitent les environs, les aventuriers se rendent sur une île dans la partie nord-ouest du lac des Bois que les peuples autochtones appellent « l’île du Manitou ». Ils l’identifient comme le site du massacre de 1736 et y élèvent une croix. Notons que plus tard, les historiens remettront en question l’authenticité du site, et encore aujourd’hui, nous ne pouvons pas affirmer laquelle parmi deux ou trois îles dans cette partie du lac des Bois est la véritable « île au Massacre ».
Monseigneur Adélard Langevin, archevêque de Saint-Boniface, s’intéresse comme le faisait son prédécesseur, Monseigneur Alexandre Taché, à l’histoire de la découverte de l’Ouest. C’est ainsi qu’en 1902, voulant poursuivre les recherches historiques déjà commencées au lac des Bois, il organise à ses propres frais une expédition dont le but est de découvrir l’emplacement du fort Saint-Charles, et surtout les restes du missionnaire jésuite Jean-Pierre Aulneau, du fils aîné de La Vérendrye, Jean-Baptiste, et de leurs dix-neuf compagnons tués.
Les sept membres de l’expédition, dont l’archevêque, son secrétaire l’abbé Arthur Béliveau, le juge Louis-Arthur Prud’homme, ainsi que trois Oblats (Jean-Baptiste Baudin, Joseph Thibaudeau et Charles-Arthur Cahill) et un jésuite (Joseph Blain), quittent Saint-Boniface au début de septembre 1902. De Portage-du-Rat,(Kenora) ils se dirigent à bord du bateau à vapeur Catherine S vers l’île au Massacre telle qu’identifiée lors de l’excursion de 1890. Sur les indications de Powassin, vieux chef des Sauteux (Anishinaabeg), ils se rendent à l’angle du Nord-Ouest du lac des Bois, en territoire américain. Là, sur la rive nord d’une petite anse, ils déterrent les vestiges d’une ancienne cheminée. Plus tard, le chef de la réserve, Andakamigowini, confirme les dires de Powassin et signale qu’il y a d’autres cheminées et vestiges de bâtiments sur la rive sud de la même anse.
Convaincus qu’ils avaient découvert l’emplacement du fort Saint-Charles, les membres de l’expédition y érigent une croix qui lit « Fort Saint-Charles Fondé 1732 Visité 1902 ».
C’était le 4 septembre. Ce soir-là, à bord du Catherine S, la Société historique de Saint-Boniface est fondée « en souvenir de la découverte du fort Saint-Charles et afin de poursuivre les recherches historiques commencées ». Tous les membres de l’excursion deviennent membres de facto de la nouvelle société d’histoire qui portera le nom de l’archidiocèse, c’est-à-dire Saint-Boniface. Monseigneur Langevin en est le premier président et le juge Prud’homme, le premier secrétaire.
Au cours des six prochaines années, les membres de la Société historique organisent d’autres excursions dans l’espoir de trouver les restes du père Aulneau et de La Vérendrye, fils. En 1908, les excursionnistes sous la direction de Joseph Blain, jésuite et professeur de sciences naturelles au Collège, déplacent leurs fouilles à la rive sud de l’anse de l’angle du Nord-Ouest où ils font d’importantes découvertes. Ils trouvent les ruines d’un ancien fort, et retirent du sol quantité d’objets témoins de l’époque où le fort Saint-Charles était fréquenté. Enfin, ils mettent à nu les crânes et les squelettes des 21 hommes tués sur l’île au Massacre. Ces restes sont transportés à Saint-Boniface, où ils sont étudiés et entreposés au Collège. Presque tous les restes et reliques du fort St-Charles disparaissent dans l’incendie du Collège de 1922. Les quelques ossements récupérés du sinistre sont enfin inhumés de façon définitive dans un coffret scellé, fixé dans le monument Aulneau-La Vérendrye, dont l’inauguration a lieu le 6 juin 1976 dans le cimetière de la cathédrale de Saint-Boniface.
Reconnaissant l’importance du site dans l’histoire de l’expansion vers l’Ouest, l’archidiocèse de Saint-Boniface commence à faire des démarches pour en devenir propriétaire en 1909. Selon une formule suggérée par le juge Prud’homme, l’archevêque parvient à acquérir le site du fort pour la Société historique en 1914. Le titre, au nom de la Corporation des Oblats du Manitoba, est transféré en 1928 à la Corporation des Oblats de Duluth, au Minnesota. Aujourd’hui, le site appartient aux Chevaliers de Colomb du 4e degré de Warroad, au Minnesota, qui ont entrepris la reconstruction du fort au cours des années 1950.
La Société historique de Saint-Boniface est la deuxième plus ancienne société d’histoire canadienne-française. Tous les documents relatifs à sa fondation sont conservés dans un fonds d’archives au Centre du patrimoine. Des notes de recherches historiques, des diagrammes relatifs aux fouilles et des photographies des découvertes sont d’importants témoignages de l’esprit scientifique des premiers chercheurs.
Texte rédigé par l’équipe de départ responsable de la réalisation d’Au pays de Riel, début des années 2000.
Texte révisé en 2022.
Bibliographie
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CHAMPAGNE, Antoine. Nouvelles études sur les La Vérendrye et le Poste de l’Ouest, Québec, Presses de l’Université Laval, Cahiers de l’Institut d’Histoire, no 17, 1971.
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PRUD’HOMME, L.-A. « Pierre Gaultier de Varennes Sieur de La Vérendrye, Captain of Marines, Chevalier of the Military Order of St. Louis, Discoverer of the North-West 1685-1749 », Bulletin of the Historical Society of St. Boniface, vol. V, Part 2, 1916.
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UN MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ HISTORIQUE DE SAINT-BONIFACE. « Grand Événement historique. Découverte du fort Saint-Charles. Septembre 1732-1902 », Les Cloches de Saint-Boniface, vol. I, no 12, 313-321.