Jean-Pierre Aulneau

Jean-Pierre Aulneau

Une photographie du monument Aulneau- La Vérendrye.

La correspondance Jean-Pierre Aulneau

Quatre jésuites se rendent à l’ouest du lac Supérieur sur le territoire canadien entre 1731 et 1752. De ces quatre missionnaires de l’époque des explorations dans l’Ouest sous le régime français, c’est le deuxième, Jean-Pierre Aulneau, qui est le plus intimement lié à l’histoire du Manitoba et de l’Ouest canadien.

Pourtant, comme c’est le cas pour le premier, Charles-Michel Mésaiger (1732-1733), et des deux derniers, Claude-Godefroy Coquart (1743-1744) et Jean-Baptiste de la Morinie (1750-1751), Aulneau ne passe qu’une saison dans la région. De plus, comme ses trois autres collègues, il n’atteint jamais le but de la mission dont chacun avait été chargé à tour de rôle, soit de fonder une mission catholique et faire l’évangélisation chez les Mandanes, une nation autochtone sédentaire établie au sud-ouest du Manitoba actuel.

Aulneau a marqué l’histoire de l’Ouest par le fait que son premier voyage comme missionnaire dans l’Ouest canadien a aussi été son dernier. Il est l’un des 21 hommes tués à « l’Île au Massacre », un événement marquant des expéditions de La Vérendrye.

La vie de Jean-Pierre Aulneau de la Touche et sa relation avec l’Ouest canadien sont toujours d’intérêt pour l’histoire de l’Ouest. À travers Aulneau, on peut saisir plusieurs éléments de l’époque de ce coin de pays. De plus, Aulneau fournit une perspective unique sur l’histoire de la Nouvelle-France.

On connaît peu de choses de la jeunesse de Jean-Pierre Aulneau. Il est vendéen, né à Moûtiers-sur-le-Lay (Poitou). Il est le fils de maître Pierre Aulneau de la Tousche et de « damelle » Anne de Grange et est baptisé le 21 avril 1705. Il est l’aîné d’une famille de 5 enfants. Un de ses frères, Charles, est, lui aussi jésuite, tandis qu’un troisième frère, Michel, devient sulpicien. Son unique sœur, Thérèse, est religieuse de l’Unité chrétienne de Fontenay.

Jean-Pierre Aulneau étudie à Luçon, Poitou et entre chez les jésuites à Bordeaux. Il est âgé de 29 ans lorsqu’il arrive au Canada en 1734, en compagnie des jésuites Luc-François Nau et Pierre de Lauzon, supérieur des missions jésuites en Nouvelle-France. Après une traversée pénible à bord le Ruby, qui dure 76 jours en mer, Aulneau est atteint d’une fièvre qui le mène à deux fois « aux portes de la mort ». Avant d’atterrir au port de Québec, il quitte le navire pour des raisons de santé avec le frère Jean-Jard Boispineau qui était venu le chercher en chaloupe.

Aulneau passe l’hiver à Québec à préparer son examen de quatrième année de théologie puis est averti de se préparer pour la mission de la « mer de l’Ouest ». Choisi pour accompagner La Vérendrye au poste de l’Ouest en 1735, Aulneau y voit là l’invitation à se consacrer à une vie de sacrifices propice à lui valoir les consolations divines : « et que si au milieu des forêts où je vais passer le reste de ma vie, au milieu des bêtes feroces je ne trouve pas de quoy contenter mon amour propre, je trouveray du moins de quoy le détruire et l’aneantir par mes souffrances. »

Avant son départ, il écrit plusieurs lettres donnant quelques détails sur d’autres missionnaires jésuites, dont Jean-Baptiste Chardon et Armand de La Richardie qui comptaient plusieurs années d’expérience dans la région du lac Supérieur. Il indique aussi à sa mère qu’il doit hiverner à 900 lieues de Québec et qu’elle ne doit pas s’inquiéter si elle ne reçoit pas de nouvelles de lui durant l’hiver car il ne pourra lui écrire que le printemps prochain.

Dans une autre lettre à sa mère, on apprend qu’elle lui verse une pension, donnant une idée de comment les missions sont en partie financées en Nouvelle-France. À sa sœur Thérèse, religieuse de l’Union chrétienne de Fontenay, il écrit avant son départ pour l’Ouest qu’il n’aura pas de demeure fixe pour les trois ou quatre prochaines années et qu’il ne fera guère autre chose que de parcourir les bois et les lacs pour prendre connaissance des « nouveaux pays » où la Providence l’envoie.

Dans une lettre écrite à un jésuite en France, on constate qu’Aulneau se fait déjà une idée d’où se situe le fameux fleuve qui « a flux et reflux », le fleuve qui mène à la mer de l’Ouest. En lisant cette lettre, on se rend compte que les missionnaires jésuites avaient une idée de l’intérieur du continent à travers les lettres du Père King, jésuite allemand. De plus, il peut communiquer à ses collègues des renseignements qu’il ne transmet pas à sa mère pour ne pas l’épeurer. Ainsi, il indique que les Autochtones sont toujours perçus comme une « menace » possible, comme le témoigne sa référence au jésuite Michel Guignas qui avait été fait prisonnier par les Sakis ou Renards.

Comme bien des jésuites de son temps, l’intérêt pour la chose scientifique préoccupe Aulneau. D’ailleurs la cour de France dépend beaucoup des jésuites, hommes instruits dans tous les domaines, pour lui transmettre des renseignements fiables. Ainsi Aulneau demande au père Bonin de lui « […] envoyer le calcul de quelques éclipses de soleil et de lune qui seront visibles en France et en Amérique. Je vous en auray beaucoup d’obligations, je tacherais d’en faire usage de mon mieux pour déterminer les longitudes des nouveaux pays où la Providence m’envoyera ».

Le 21 juin 1735, Aulneau part de Montréal pour l’Ouest en compagnie de La Vérendrye, arrivant au fort Saint-Charles le 23 octobre 1735. Il passe l’hiver à étudier la langue des Cris (Nehiyawak), la nation autochtone qui fréquente la région du fort Saint-Charles. Le jésuite Luc François Nau, confrère de Aulneau, missionnaire dans une mission sédentaire de la vallée du Saint-Laurent, écrit plusieurs fois à Madame Aulneau étant donné que son fils ne peut pas lui écrire de l’Ouest. Dans l’une de ces lettres, on apprend que Aulneau a à son service « un domestique bon chasseur, qui lui fera manger de tems en tems du gibier ».

Aulneau rédige une seule lettre du fort Saint-Charles. Adressée au jésuite Bonin en France, cette lettre décrit l’itinéraire d’Aulneau depuis la mission de Sault-Saint-Louis (Caughnawaga) jusqu’au fort Saint-Charles. Dans ce récit fascinant, on y voit aussi le biais de l’auteur, surtout en lisant ses premières impressions des peuples autochtones qu’il rencontre. On y lit ce qui est peut-être la première version canadienne documentée par écrit de la tradition spirituelle autochtone des « prairies enchantées », le Paradis des Cris. On apprend aussi qu’il déplore que les Autochtones de la région ont été « corrompus » par l’eau-de-vie des traiteurs européens.

Au printemps de 1736, fautes de vivres, La Vérendrye décide d’envoyer des hommes chercher les denrées et les articles de traite qui ne s’étaient pas rendus au fort Saint-Charles l’automne précédent. Sans doute pour pouvoir se confesser, voulant profiter de l’occasion pour rencontrer le père missionnaire Jean-Baptiste de Saint-Pé à Michillimakinac, Aulneau exige d’être du convoi. Aulneau, Jean-Baptiste La Vérendrye, (fils aîné de La Vérendrye), et 19 engagés de l’expédition sont tués par des guerriers Sioux (Dakotas) le 6 juin 1736, en représailles de leur participation au commerce d’esclaves ainsi que pour avoir fourni des armes aux ennemis des Dakotas. Aulneau n’a passé qu’une saison parmi les Cris et autres tribus de l’Ouest.

L’histoire de Jean-Pierre Aulneau aurait sans doute été oubliée si quelques jésuites n’étaient pas allés prêcher une mission en Vendée en 1889. À la fin de la retraite, un habitant de Bournezeau, qui se disait descendant du « martyre de l’île du Massacre », informe les prédicateurs qu’il possède des lettres qui étaient dans la famille depuis longtemps. Il leur indique qu’il semblait, d’après ces lettres, qu’un ancêtre de la famille avait été tué par des Autochtones en Amérique du Nord.

Les jésuites ont transcrit cette correspondance qui a été par la suite traduite en anglais et publiée dans le Canadian Messenger. En 1927, cette correspondance est publiée en français dans le Rapport de l’archiviste de la Province de Québec. Cette collection comprend 48 lettres écrites entre 1734 et 1745, dont 12 lettres écrites par Jean-Pierre Aulneau entre 1734 et 1736. S’ajoutent aux lettres de Jean-Pierre Aulneau, 32 lettres rédigées par différents jésuites qu’avait reçues Madame Aulneau de la Touche, dont celles du missionnaire Pierre Du Jaunay qui, à plusieurs reprises, demande de succéder à Aulneau pour prêcher chez les Mandanes.

Vingt lettres ont été choisies pour être publiées dans cette section. Toutes les lettres ne sont pas d’Aulneau. Cependant, elles fournissent des éléments d’une histoire peu connue de la région. Elles confirment qu’il y avait déjà, à l’époque, le début d’un mythe entourant le décès de ce premier jésuite assassiné à l’ouest du lac Supérieur. Un mythe propagé par les collègues d’Aulneau qui ont continué à communiquer avec la mère du défunt.

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