La colonisation/migrations francophone au Manitoba entre 1870 et 1914

La population d’expression française du Manitoba actuel est composée de trois éléments principaux. Il y a d’abord les descendants des Métis francophones installés sur les plaines de l’Ouest depuis le 18e siècle.
De ce premier groupe de francophones, il y a aussi des anciens voyageurs et un nombre limité de femmes canadiennes-françaises venus s’établir dans la région durant l’époque de la traite des fourrures (exemple : Jean-Baptiste Lagimodière et Marie-Anne Gaboury). Nous retrouvons ensuite les fils et les filles de Canadiens français du Québec émigrés vers l’Ouest entre 1870 et 1914 ou rapatriés des centres industriels du Maine, du Vermont ou du Massachusetts. Enfin des descendants d’immigrants francophones venus de la France, de la Suisse et de la Belgique après 1890 complètent le portrait de la population francophone du Manitoba avant 1915. Ces deux derniers éléments, résultats d’un plan global et systématique de recrutement de colons mis sur pied à la fin du 19e siècle, comptent pour la plus grande partie des Franco-Manitobains d’aujourd’hui.
Après la création de la province du Manitoba en 1870, deux phénomènes importants font en sorte que la population d’expression française se trouve rapidement dans une situation minoritaire. Ces deux phénomènes démographiques sont la grande vague d’immigration non francophone vers l’Ouest et l’exode des Métis vers la Saskatchewan après 1875. Pour l’Église catholique, le déséquilibre démographique et le manque de leadership laïc sont de sérieuses préoccupations. Elle sera donc au premier rang des promoteurs d’une colonisation francophone et de l’établissement de nouvelles paroisses de langue française dans l’Ouest canadien.
Pour réaliser leurs objectifs, les autorités religieuses de la province s’adressent à leurs confrères au Québec, au gouvernement fédéral, aux sociétés de colonisation, aux agents et aux missionnaires-colonisateurs. Ces derniers sont peut-être les collaborateurs les plus efficaces. Parmi les prêtres et religieux qui s’engagent de façon particulière à l’œuvre colonisatrice, signalons les abbés Charles-Agapit Beaudry, David Fillion, Jean Gaire, Osias Corbeil et Dom Paul Benoit. À titre d’agents gouvernementaux ou au nom de leurs évêques, ces prêtres-colonisateurs parcourent le pays afin de promouvoir les terres fertiles du Manitoba. Ils rédigent des brochures, donnent des conférences et très souvent accompagnent les colons à leurs concessions lors de leur arrivée au Manitoba. Certains sont reconnus comme fondateurs de paroisses franco-manitobaines.
Au Manitoba, les autorités religieuses et les sociétés de colonisation s’appuient sur des outils de propagande tels les journaux de langue française locaux, Le Métis et plus tard Le Manitoba, les journaux de colonisation comme le Colonisateur canadien et la revue mensuelle Le Canadien français pour inciter des francophones à s’établir dans la province. Elles font aussi appel aux membres d’organismes à caractère national telle la Société Saint-Jean-Baptiste pour qu’ils communiquent avec leurs parents et amis et fassent connaître par l’entremise des journaux les détails sur les meilleures terres et possibilités commerciales dans leurs paroisses respectives. De plus, elles sollicitent des fonds du gouvernement fédéral et le concours des compagnies de chemin de fer pour diminuer les coûts associés à leurs efforts de recrutement de colons.
Les familles qui quittent le Québec ou les états du Nord-est américain pour s’installer au Manitoba sont pour la plupart à la recherche de terres agricoles gratuites ou peu chères.
Parmi ces pères de familles, il se trouve également des entrepreneurs, parfois victimes d’une faible économie au Québec, qui cherchent une occasion d’établir un nouveau commerce dans les villages ou à Saint-Boniface. Ils arrivent pleins d’espoir, et nombreux sont ceux qui établissent des racines au Manitoba à la fin du 19e siècle.
Dès 1888, les dirigeants du plan de colonisation francophone se tournent vers l’Europe, et la venue de familles françaises, suisses et belges occasionne la fondation de nouvelles paroisses, surtout dans la région de la montagne Pembina. Certains de ces immigrants européens viennent également renforcir les nombres dans des paroisses déjà peuplées par des Métis et Canadiens français. Dans certains cas par contre, le flux de colons, (bien qu’ils soient catholiques et francophone), déplace davantage les familles métisses ou les absorbent en assimilant les générations consécutives.
Même si l’immigration francophone à cette époque n’atteint jamais les nombres tant souhaités par les autorités religieuses pour équilibrer l’arrivée de milliers d’immigrants anglophones entre 1870 et 1914, elle assure la base démographique nécessaire pour mener une résistance acharnée contre l’assimilation des francophones. Lors des crises linguistiques, scolaires et juridiques du Manitoba à partir de 1890, ces nouveaux Franco-Manitobains forment un leadership laïc très puissant pour appuyer les efforts de l’Église catholique locale de conserver la « langue, gardienne de la foi ».
Texte rédigé par l’équipe de départ responsable de la réalisation d’Au pays de Riel, début des années 2000.
Texte révisé en 2022.
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