Genèse du Centre du patrimoine (1981 à 1998)
La longue genèse du Centre du patrimoine de la Société historique de Saint-Boniface
Par Gilles Lesage
Publié en septembre 2023 à l’occasion du 25e anniversaire du Centre du patrimoine
En 1975, par le dépôt du rapport Symons, un appel est lancé de donner de l’importance aux Études canadiennes et par ricochet, un engouement accru pour les archives s’ensuit. Dans ce contexte la Société historique de Saint-Boniface organise en 1981 le Colloque sur la situation des archives au Manitoba français. Le colloque permet de souligner l’importance des archives détenues pour les institutions et les associations. On y déplore aussi les conditions précaires dans lesquelles elles se trouvent et la difficulté d’accès compte tenu du peu de traitement accompli. Par la même occasion, le germe d’une succursale des archives est planté. Par le biais de plusieurs comités successifs et des rapports ou études diverses, le projet d’un centre d’archives fait son chemin. En 1997, le chantier de construction est ouvert et au printemps 1998 le Centre du patrimoine ouvre ses portes.
Introduction
Les choses ou les réalisations ne surgissent pas de rien ou spontanément. Elles sont généralement le résultat d’une longue évolution, gestation ou maturation.
L’abolition du statut bilingue de la Province du Manitoba en 1890 (la Official Language Act) a eu pour effet de rendre inopérant l’article 23 de la Loi sur le Manitoba qui stipulait que « […] l’usage de ces deux langues est obligatoire pour les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux de ces chambres. […] Les lois de la Législature du Manitoba sont imprimées et publiées dans les deux langues. » Qu’aurait pu être aujourd’hui la situation des archives d’un Manitoba bilingue ?
Toutefois, dans le secteur privé, cette production d’archives en français se poursuit et leur préservation est assurée par quelques organisations et institutions. Comme le relevait, en 1994, le rapport du Comité conjoint du Centre du patrimoine et des archives, « […] c’est l’archevêché, les congrégations religieuses et la Société historique de Saint-Boniface qui se sont occupés du patrimoine franco-manitobain. »
Dès sa création en 1902, cherchant à faire valoir l’importance de la contribution des francophones au développement de l’Ouest, dans l’esprit colonial de l’époque, la Société historique de Saint-Boniface (SHSB) s’assure d’acquérir des documents d’archives. Il n’y a qu’à penser aux copies certifiées identiques à l’original des cartes de l’Ouest de La Vérendrye que Léopold Léau, un mathématicien et linguiste français, obtient des archives de France pour la SHSB à la demande de Mgr Adélard Langevin.
La revendication soutenue des droits des francophones du Manitoba sur les plans politique et juridique porte fruit vers le dernier quart du 20e siècle. Avec la Loi 113 (1970) qui permet l’enseignement en français, la victoire de Georges Forest à la Cour d’appel du Manitoba qui invalide la loi de 1890 (le 26 avril 1979), jugement maintenu par la Cour suprême du Canada (le 13 décembre 1979), la création du Secrétariat des services en langue française du gouvernement du Manitoba (1981), l’entente conclue entre le gouvernement provincial et la Société franco-manitobaine pour les services en langue française (1985) et la publication en 1991, par la Cour suprême, des critères devant guider le gouvernement du Manitoba dans la traduction de ses décrets et des documents incorporés dans les lois, la production de documents d’archives publiques en français est en quelque sorte rétablie. C’est aussi en 1994 qu’est créée la Division scolaire franco-manitobaine.
La fin des travaux de construction du Centre du patrimoine coïncide avec la publication, en mai 1998, du rapport Chartier, intitulé, Avant toute chose, le bon sens, sous le gouvernement Filmon.
L’effervescence pour les archives s’intensifie 1960-1980
Les années 1960, particulièrement au Québec, entraînent un éveil à l’importance des archives : à preuve, la création en 1967 de l’Association des archivistes du Québec. Quoique cet intérêt pour les archives ait toujours été présent, il s’intensifie avec les centenaires du Canada, du Manitoba et des premiers centenaires de municipalités et de paroisses, suscitant un engouement pour l’histoire locale. L’appétit pour la généalogie et les histoires de famille est généré en particulier par les anniversaires des arrivées de familles immigrantes au Canada et dans l’Ouest.
En 1973, en publiant Introduction à l’étude des Franco-Manitobains de Lionel Dorge, comme l’avait fait, en 1953, le Peel pour l’Ouest canadien, la SHSB souligne l’importance de la conservation et de la diffusion pour faire connaître l’histoire du Manitoba français, ses défis, ses réalisations et sa contribution à l’histoire du Manitoba.
Auparavant, en 1970, à la réunion annuelle de l’Association of Universities and Colleges of Canada, il avait été proposé de créer une commission d’enquête sur les études canadiennes. Le rapport de la commission paraît en 1975, le Report of the Commission on Canadian Studies ou le Symons Report, titré To Know Ourselves: The Rationale for Canadian Studies. Thomas Symons, président fondateur de l’University Trent, signe le rapport en tant que président de la Commission. Le mandat de la Commission comprend, entre autres, l’identification des lieux où se trouvent des fonds de bibliothèques ainsi que leur étendue en plus des autres ressources requises pour l’amélioration des études canadiennes et pour faciliter leur accès. Le rapport fait état de la situation des études canadiennes, repère des lacunes dans toutes les disciplines du savoir et émet plusieurs recommandations pour remédier à cette situation. Le rapport rappelle l’importance des archives dans l’effort de se comprendre soi-même et du lien entre cette connaissance et l’identité canadienne.
Comme le relève l’Association of Canadian Archivists (ACA), fondée en 1975, le rapport contient 31 recommandations portant sur les archives, dont l’une qui porte sur les archives pertinentes aux études autochtones. L’ACA note que Symons avait préfacé son rapport par une référence à Arthur Doughty, archiviste national de 1904-1935, qui soulignait que la culture d’une nation se mesure à la déférence qu’elle porte à son patrimoine documentaire. Le cœur de la question étant d’assurer la préservation des archives et leur accessibilité pour la recherche des générations futures. Les acquérir et les préserver s’avèrent alors essentiels.
Symons recommande donc qu’un programme de sensibilisation publique soit mis sur pied, qu’un guide des archives sur le plan national soit établi et qu’un réseau des archives soit créé. L’ACA ajoute que l’importance de préserver l’intégrité des archives, et plus spécifiquement des fonds d’archives, est fondamentale à la préservation des archives. Ainsi est dénoncée la pratique de certains qui organisent les documents d’archives selon les pratiques de bibliothèque, à savoir par sujets, personnages et lieux.
Le SHSB occupait un local au sous-sol de la Cathédrale lorsque celle-ci est détruite dans l’incendie de 1968 (photo SHSB9368). Non seulement le local n’est plus, mais plusieurs documents sont détruits ou endommagés. La question d’un espace pour les archives et la bibliothèque de la SHSB devient primordiale. En 1975, à la suite d’une négociation avec le Collège universitaire de Saint-Boniface (CUSB), la SHSB obtient la location d’un espace au troisième étage de la nouvelle bibliothèque, espace restreint et difficile d’accès pour le grand public.
C’est dans ce contexte que, dès 1979, grâce en particulier à René Préfontaine [sous ministre aux Affaires culturelles (1979-1982) sous Sterling Lyon] et à Gilbert Comeault (archiviste aux Archives provinciales du Manitoba), la SHSB entreprend un inventaire des archives des paroisses francophones des diocèses de Saint-Boniface et de Winnipeg. Le résultat de cet inventaire de 66 paroisses fait ressortir à la fois la richesse de ces archives pour l’histoire des francophones et des Métis. En outre, il souligne la précarité dans laquelle elles se trouvent, menacées par les dangers de feu, d’inondation, d’oubli, d’éparpillement et de négligence, et souvent laissées sans endroit propice à leur préservation et leur sécurité.
En 1980, le Rapport au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, produit par le Groupe consultatif sur les archives canadiennes, est soumis. Le signataire du rapport intitulé Les archives canadiennes est Ian Wilson, alors président du groupe consultatif. Il deviendra plus tard l’archiviste national (1999-2009). Alimenté par les résultats d’un sondage envoyé aux institutions d’archives et de nombreux mémoires soumis au groupe consultatif, le rapport passe en revue l’ensemble des questions entourant les archives, y compris la définition des archives, la situation des archives canadiennes, les différents aspects de la création du système archivistique canadien, les préoccupations des responsables de dépôts d’archives (dont les dépôts régionaux) et la liberté d’accès à l’information.
Le Colloque sur la situation des archives au Manitoba français et ses retombées 1981-1989
C’est dans ce contexte général canadien que se tient, le 30 octobre 1981, le Colloque sur la situation des archives au Manitoba français, organisé par la SHSB avec la collaboration et l’appui financier des gouvernements fédéral, provincial et du Québec. Le communiqué du colloque énonce son but ainsi : « […] examiner le rôle de la SHSB dans la conservation du patrimoine manitobain, regrouper tous les organismes qui détiennent des fonds d’archives intéressant la collectivité franco-manitobaine, et établir les rapports que devrait entretenir ladite Société avec ces divers organismes, notamment les Archives provinciales du Manitoba, les archives de l’Archevêché de Saint-Boniface, les archives du CUSB, le Centre d’études franco-canadiennes de l’Ouest, les services d’archives des communautés religieuses, des paroisses, des maisons d’enseignement et d’associations diverses. »

CA de la SHSB en 1981-1982, de gauche à droite, Michelle Smith, Taïb Soufi, Régis Gosselin (trés.), Marie-Paule Robitaille, Gérard Lagacé (prés. sortant), Lynne Champagne (sec.), Robert André (prés.), Louise Auger, Lucien Chaput. Absents : sœur Hélène Chaput (vice-présidente) et Lionel Dorge (DG). – Archives de la SHSB, Fonds La Liberté, SHSB 95252
Le CA de la SHSB est alors composé de Robert André (président), sœur Hélène Chaput (1re vice-présidente), Lucien Chaput (2e vice-présidente), Lynne Champagne (secrétaire), Régis Gosselin (trésorier) et les conseillères Louise Auger, Marie-Paule Robitaille, Michelle Smith et le conseiller Taïb Soufi. Le directeur était Lionel Dorge.
Comme le note le président de la SHSB d’alors, Robert André, dans son mot de bienvenue, le rapport Les archives canadiennes souligne bien que « […] les archives canadiennes sont en difficulté, sous l’effet combiné d’un manque de fonds et de personnel, d’installations insuffisantes et d’une législation désuète, de même que de l’absence de coordination entre les diverses instances responsables des différents systèmes d’archives. » (Actes du colloque, p.7) Le colloque a pour objectif de donner suite aux rapports du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (mai 1980) et du rapport portant sur le patrimoine manitobain soumis au ministère des Affaires culturelles et du Patrimoine du Manitoba (juillet 1981).
La journée comporte un lourd programme permettant à 18 intervenants de présenter leurs réflexions. Parmi les présentateurs à la table ronde sur les archives et la recherche, Antoine Lussier, un Métis, professeur à l’Université de Brandon, aborde la question des recherches sur les Autochtones : « Au point de vue de recherches et de société d’archives, nous (les Autochtones) avons un problème, surtout dans notre coin (le nord du Manitoba), qui est tout autochtone, et c’est le problème que Diane [Payment] a mentionné. La question de l’histoire écrite et de la tradition orale, – on a seulement à regarder le fait que le Père Morice dans son livre, La race métisse, n’a besoin que de deux à trois paragraphes pour dire que les Métis étaient fous d’aller faire des introductions et des interviews en 1929 à Batoche pour parler à un groupe de Métis qui avait vécu dans le temps de 1885. Dans la tradition orale, pour les Métis et les Indiens, il y a une certaine vérité qui passe. » (Actes du colloque, p. 92)
Antoine Lussier ne manque pas non plus de souligner le problème de la traduction. Se référant au projet de traduction en anglais du Métis canadien de Marcel Giraud par l’Université de l’Alberta, il mentionne dans son style bien particulier : « Il y a des traducteurs qui sont en train de traduire ça tout faux. Ce qui va arriver plus tard, c’est qu’on va avoir des orignaux qui n’auront pas de cornes. » (Actes du colloque, p. 95)
Dans son commentaire sur l’ensemble du colloque, Claude Minotto, archiviste invité des Archives nationales du Québec, présente le contexte dans lequel la question des archives se situe : « En réalité, ce qui est vétuste et désuet, ce ne sont pas les archives, mais plutôt l’image restrictive ou démesurée que s’en font quelques esprits, dans une épaisse enveloppe de poussière et de nostalgie. » Et il ajoute : « Dans les textes, la correspondance, les photographies, les cartes et plans, sur les différents supports de sons et d’images, nous retrouvons l’expression de nos réussites et de nos erreurs. Nous revoyons les facteurs qui ont présidé au développement des institutions de l’éducation, de la science, des professions, de l’industrie, du loisir, bref, de tout ce que nous sommes aujourd’hui. Oublier tout cela, négliger les archives, c’est ignorer l’expérience accumulée, c’est perdre le plan de la maison et la façon de la bâtir. Telle était la préoccupation du colloque, et tel est l’enjeu que représentent les archives. » (Actes du colloque, p.104)
Le colloque fixe clairement comme priorité incontournable le besoin d’assurer la préservation des archives de la francophonie manitobaine pour les générations futures. Parmi les options envisagées, on privilégie une succursale des archives provinciales.
Après le colloque, du 20 au 28 novembre 1981, Claude Minotto visite sept centres d’archives francophones en réponse à la mission à laquelle il s’était engagé. Le Rapport Minotto, Mission de contact et d’échange avec différents responsables d’archives de langue française au Manitoba, daté du 11 décembre 1981, s’attarde sur la question de la préservation des archives : on ne veut pas tout simplement les perdre. En plus de rencontrer des responsables de centres d’archives, Minotto a aussi rencontré le sous-ministre de la Culture et du Patrimoine, René Préfontaine, et son conseiller Roger Turenne.
Dès le début de son rapport, Minotto résume d’une certaine façon la vision des archives du Manitoba français : « Que les archives et la recherche contribuent à faire rayonner davantage la vie française au Manitoba, ses réalisations, ses domaines d’excellence, que ce soit à Winnipeg, à Churchill, Edmonton, Ottawa, Québec, au Nouveau-Brunswick, à Bruxelles, Berne, Paris, Dakar, Kinshasa ou ailleurs. » (Rapport Minotto, p. 8)
Dans son rapport, Minotto relève que Peter Bower, archiviste provincial du Manitoba, avait noté lors de son intervention au Colloque sur la situation des archives : « Historiquement, les Provincial Archives of Manitoba avaient laissé à la SHSB le champ des archives de langue française. Si bien qu’aujourd’hui cette dimension manque aux Provincial Archives, dont la portée, en tant qu’institution provinciale canadienne, s’en trouve aujourd’hui réduite. » (p. 11)
Claude Minotto souligne aussi que Bower avait proposé « […] que les archives de la SHSB forment le noyau d’une succursale française des Archives provinciales du Manitoba, avec le mandat de conserver le patrimoine archivistique franco-manitobain, et de fournir les services archivistiques à cette communauté. » Et Minotto poursuit : « […] de l’avis même du Conservateur des Provincial Archives (Peter Bower), l’enracinement des archives de la SHSB dans leur milieu (Saint-Boniface) offrirait toujours la meilleure garantie de développement et de mise en valeur de ces archives. De là, l’idée d’une ‘succursale’ telle qu’exprimée dans la recommandation, idée qui demeure ambiguë si on ne précise pas davantage la formule […] et le cadre d’opération souhaité. » (Rapport Minotto, p. 10-11)
Le Rapport Minotto conclut que si le consensus existe pour établir une structure des Provincial Archives of Manitoba afin d’assurer la préservation et la diffusion des archives de la francophonie manitobaine, en revanche l’idée avancée d’une succursale reste à définir, car elle se prête à plusieurs interprétations. Il considère que la question ne peut se résoudre que par une consultation entre les Provincial Archives et le milieu intéressé. (Rapport Minotto, p.26)
Malgré les visées ambitieuses issues du colloque et du rapport Minotto, les exigences et les contraintes du quotidien s’imposent et la recherche d’un local subordonne toutes les possibilités. C’est en 1985 qu’un nouvel espace est aménagé au CUSB pour la SHSB. Cette fois, il se trouve au premier étage de l’aile ouest du bâtiment, plus facile d’accès pour le public et mieux doté en équipement. L’entreposage des archives est alors assuré dans une salle à conditions ambiantes partiellement contrôlées. Il est clair toutefois qu’il s’agit d’une solution provisoire, car l’espace demeure limité. De plus, la croissance des services au CUSB et de son corps étudiant laisse entrevoir que ces locaux ne seront pas indéfiniment disponibles. La question d’un centre d’archives ou d’un bâtiment dédié aux archives continue à faire son chemin.
Les Sœurs Grises et le besoin d’un centre d’archives 1985-1989
L’année 1985 marque aussi le début de l’intérêt que les Sœurs Grises vont porter à la question d’un centre d’archives. En effet, c’est le 15 septembre 1985 que le juge Joseph O’Sullivan siège en tant que président du Heritage Act Committee des Sœurs Grises qui est préoccupé par la possibilité d’une désignation provinciale du site du Musée de Saint-Boniface. Les répercussions que cette désignation aurait sur l’ensemble du site environnant le Musée s’avèrent l’une des considérations importantes du dossier. En effet, la valeur immobilière de l’ensemble se chiffre alors dans les millions et la désignation risque d’effacer complètement ce bien-fonds. Or les Sœurs Grises rappellent que les valeurs entre leurs mains leur étaient confiées pour le bien des pauvres. Elles avancent donc l’argument qu’il faut à tout prix chercher une solution qui ne porterait pas atteinte à cette richesse dont elles ont la garde.
Les membres du Heritage Act Committee étaient : Joseph O’Sullivan, sœur Jacqueline St-Yves, sœur Lucille Damphousse, sœur Geneviève Rocan, l’abbé Walter Szumski, G. Coombs, C. Malburg et Gilles Lesage.
Le Heritage Act Committee des Sœurs Grises propose de donner le site du Musée de Saint-Boniface et le lot adjacent en échange du site du parc La Vérendrye. En outre, reconnaissant l’intérêt des archives des Sœurs Grises et l’importance de les préserver et de les rendre accessibles aux chercheurs, le Heritage Act Committee propose que le terrain près du Musée de Saint-Boniface, aujourd’hui le 500 Taché, serve à la construction d’une succursale des Archives provinciales du Manitoba pour les archives religieuses et les archives de la francophonie manitobaine.
Dans la foulée de ces considérations, le Heritage Act Committee crée le Comité de développement des archives de Saint-Boniface le 23 septembre 1987. Ce comité comprend le juge Joseph O’Sullivan, sœur Jacqueline St. Yves, l’abbé Walter Szumski, sœur Geneviève Rocan, sœur Lucille Damphousse, Gilles Lesage et C. Malburg. La secrétaire du comité est Mariette Gauthier.
En 1988, une rencontre est organisée avec la ministre de la Culture, du Patrimoine et des Loisirs, Judy Wasylyscia-Leis. La ministre choisit alors de désigner l’archiviste provincial, Peter Bower, comme agent de liaison avec le gouvernement.
Le comité créé en vue de la construction d’un centre d’archives est présidé par sœur Jacqueline St-Yves à la suite du départ du juge Joseph O’Sullivan (1988), puis par Laurent Desjardins (1989). Y ont par la suite siégé plusieurs personnes, en fonction de l’évolution du dossier, des besoins de représentation ressentis et des départs de certains : Jacqueline Blay, Georges Damphousse, Paul Marion, Michael Decter, Alfred Fortier, Omer Lamoureux (directeur), Lucille Damphousse, Geneviève Rocan, Annette Saint-Pierre, Campbell McLean (consultant) et Gilles Lesage. Le comité lui-même change de nom et prend celui d’Archives Saint-Boniface Inc. En juin 1989 on propose son incorporation.
Cette reconnaissance des archives, enclenchée par le Colloque de 1981 et le rapport Minotto, l’impératif de chercher un espace adéquat pour les archives de la SHSB et les démarches entamées par les Sœurs Grises pour sécuriser les archives religieuses, favorisent une mobilisation plus prononcée de la collectivité francophone du Manitoba. Parallèlement, des discussions avec les différents niveaux gouvernementaux concrétisent de plus en plus le projet d’assurer un espace adéquat pour les archives de la francophonie manitobaine.
En août 1989, les Sœurs Grises informent le comité que le terrain adjacent au Musée de Saint-Boniface n’est plus disponible pour la construction d’un centre d’archives. Des discussions sont alors entamées avec le Centre culturel franco-manitobain (CCFM). Aussi, l’appui de la Société franco-manitobaine (SFM) est sollicité pour faire avancer le dossier.
À mesure que se précisent les besoins et l’intérêt des différentes institutions et associations du Manitoba français, une série de comités et de comités conjoints sont formés. Ils seront à l’origine d’une variété de rapports.
Ce qui fait longtemps l’objet de discussions est la question de la structure de l’organisme (Centre du patrimoine ou Centre du patrimoine et des archives) et de son mode de gestion. L’Archidiocèse et les Sœurs Grises veulent s’assurer d’un rôle dans la gestion de leurs archives. La construction sur le site du CCFM pose par ailleurs la question du rôle du CCFM dans la gestion de ce nouvel espace sur son site. Pour sa part, la SHSB cherche à s’assurer un rôle qui ne soit pas limité à sa plus simple expression, mais qu’elle puisse assurer pleinement la gestion des archives, du patrimoine et de la programmation visant le grand public.
Les membres du CA de la SHSB sont en 1986-1987 Guy Masson (président), Norman Lefaivre (1er vice-président), Nicole St-Onge (2e vice-présidente), Marc Boily (trèsorier), Louise Delisle (secretaire), les conseillères Jacqueline Blay, sœur Hélène Chaput, Claudette Lambert et le conseiller Gilbert Comeault. Le directeur est Gilles Lesage.
Le rapport Lagacé 1988
Si les études de faisabilité se succèdent, elles permettent de confirmer le bien-fondé de la création d’un centre du patrimoine et précisent progressivement la nature que devra prendre le projet.
Le 1er septembre 1988, une entente est signée entre CERECO (Michel Lagacé) et le Comité du développement des archives de Saint-Boniface.
Les services de CERECO sont retenus dans le but « […] de produire un rapport basé sur une revue de la documentation pertinente et les résultats de la cueillette d’informations obtenues grâce à un questionnaire développé et présenté aux institutions et associations de la francophonie. » Le rapport doit déterminer l’opportunité de la création d’un centre d’archives francophone au Manitoba.
Le rapport met d’abord l’accent sur l’importance des archives, comme l’avaient fait valoir les rapports nationaux. En particulier, Michel Lagacé souligne la demande accrue de consulter les archives, tant du côté de la diversité grandissante des champs d’intérêt que du côté du nombre de chercheurs, « […] leur [les archives] consultation ne se limite plus à quelques spécialistes ou chercheurs universitaires. Outre la recherche historique, la recherche juridique, sociale, politique, économique, médicale, généalogique et ethnoculturelle alimente un besoin croissant d’accessibilité […] » (Rapport CERECO p. 12).
Le rapport Lagacé remarque en plus que les deux rapports (1980 et 1984) du Comité consultatif sur les archives, présidé par Ian Wilson, soulignaient l’importance, essentielle au développement des archives au Canada, d’un réseau de coordination et de collaboration entre les différents centres d’archives. Répondant à cette préoccupation, le Conseil canadien des archives avait été fondé en 1985, suivi en 1986 par la création du Conseil des archives du Manitoba (CAM).
Ainsi, le rapport Lagacé retient : « Dans une étude sur les archives du Manitoba (The Past is Present – A Needs Assessment and Planning Study for the Archives in Manitoba) (1988), le Conseil (CAM) propose que de nouvelles archives ne soient pas établies. Il recommande aussi que le développement d’archives existantes soit découragé jusqu’à ce qu’un plan de développement ait été adopté et que le financement ait été assuré. Le Conseil (CAM) reconnaît cependant qu’il existe un besoin urgent d’établir des archives francophones dans la province. Il note que la meilleure façon de combler ce besoin serait d’élargir le mandat de la Société historique de Saint-Boniface. » (Rapport CERECO p.19-20)
L’étude Gaboury de 1990
Les services de Gaboury Associés et #10 Architectural Group sont retenus dès mai 1990. Leur rapport est déposé le 14 janvier 1991. Selon le sommaire du dossier, cette étude de faisabilité propose : « […] un centre attenant au CCFM ayant une superficie de 2 124 mètres carrés. Le coût du projet est estimé à 5 005 500 $ et les dépenses pour le fonctionnement sont calculées à 600 000 $ annuellement. » On proposait un personnel de 13 pour opérer ce centre. Le rapport propose de fusionner la SHSB et le Centre du patrimoine en un seul organisme, le Centre du patrimoine. À la suite de sa réception, le gouvernement indique que le coût du projet est trop élevé.
Le 11 février 1991, une rencontre informelle a lieu entre Laurent Desjardins, ancien député provincial de Saint-Boniface, et Bonnie Mitchelson, ministre de la Culture, du Patrimoine et des Sports. Cette rencontre confirme informellement que le gouvernement du Manitoba est intéressé au projet de construction d’un Centre du patrimoine sur le site du CCFM dans la mesure où le gouvernement fédéral accepte de financer sa part.
Puisque le site adjacent au Musée de Saint-Boniface n’est plus disponible pour un centre d’archives, Archives Saint-Boniface et la SHSB signent en novembre 1991 une entente qui entérine une collaboration entre la SHSB, Archives Saint-Boniface et le CCFM dans le but d’assurer la création d’un Centre du patrimoine et des archives sur le site du CCFM. Les partenaires se donnent pour tâches d’assurer la planification et la construction du Centre, d’envisager les mesures à prendre pour obtenir le personnel requis et de prendre les mesures qui s’imposent pour l’obtention du financement nécessaire.
Le Rapport IKOY 1993
Au printemps 1993, la firme IKOY est retenue par le Comité conjoint pour entreprendre une autre étude de faisabilité. Le rapport permet de confirmer les institutions et organismes franco-manitobains qui acceptent de confier dans l’immédiat leurs archives au futur Centre du patrimoine franco-manitobain.
Toutefois, l’option qu’envisage IKOY, à savoir l’ajout de la gestion des archives (acquisition, traitement et consultation) au mandat du CCFM tout en reprenant l’idée que les archives soient préservées dans les chambres froides des Archives provinciales du Manitoba (donc de l’autre côté de la rivière) laisse le Comité conjoint insatisfait. Le rôle de la SHSB y est occulté et les réticences de donateurs qui ne veulent pas que leurs archives soient transférées de l’autre côté de la rivière ne sont pas prises en considération. Le manque de garanties quant au financement du CCFM pour lui permettre d’assurer un service d’archives adéquat s’ajoute aux inquiétudes des intéressés.
En 1993, le Comité conjoint du Centre du patrimoine et des archives est formé par des représentants de la SHSB, du CCFM et d’Archives Saint-Boniface. Les membres sont : Henri Bouvier, président du CCFM et président du Comité conjoint ; Laurent Desjardins, président d’Archives Saint-Boniface ; l’abbé Georges Damphousse, procureur de l’Archidiocèse de Saint-Boniface et représentant d’Archives Saint-Boniface ; Omer Lamoureux, membre d’Archives Saint-Boniface ; Gilles Lesage, secrétaire d’Archives Saint-Boniface ; Denise Pambrun, vice-présidente du CCFM ; Roger Gamache, directeur général du CCFM et secrétaire/agent de liaison du Comité conjoint ; Henri Grimard, président de la SHSB, Louis Bernardin, vice-président de la SHSB ; Alfred Fortier, directeur général de la SHSB.
Le Rapport Chaput de 1994-1995
Le Rapport Chaput, étude de faisabilité de la conception, de la construction et du fonctionnement d’un centre provincial du patrimoine 1994-1995
Le rapport de Lucien Chaput de février 1994 est déterminant pour le projet. Commandée par le Comité conjoint du Centre du patrimoine et des archives, cette synthèse de tous les rapports préparés depuis le début des années 1980 abordait cette même question à savoir « la nécessité de la mise sur pied d’un centre provincial du patrimoine franco-manitobain ». Le rapport « définit ce que serait cette institution, identifie les besoins physiques, les ressources financières et humaines nécessaires et les retombées du projet, propose les options pour réaliser le projet et établit les échéanciers et les prévisions budgétaires pour que le patrimoine franco-manitobain reçoive l’attention qu’il mérite avant l’an 2000. » (Rapport Chaput, p.i fonds SHSB, S1/832/633)

Photographie de l’espace au sous-sol du Grand Séminaire où étaient entreposées les boîtes et classeurs d’archives de Mgr Maurice Baudoux. Archives de la SHSB, Fonds La Liberté, SHSB 99923
Une photographie des archives entreposées dans le sous-sol de l’ancien grand séminaire de l’Archidiocèse sur la page couverture du rapport illustre bien l’état de précarité des archives de la francophonie manitobaine. La mention de pertes occasionnées par le feu (paroisse de Somerset en 1982, presbytère de Haywood en 1988, bureaux de la Caisse populaire de Sainte-Anne des Chênes en 1993) et par l’eau, comme les dommages occasionnés par les pluies diluviennes de 1993, souligne l’importance d’agir dès que possible.
Le rapport fait état des importants fonds d’archives qui seront confiés au nouveau Centre du patrimoine : les archives de la SHSB, de l’Archidiocèse de Saint-Boniface, de la Société Radio-Canada, de plusieurs organismes et certains fonds des Archives provinciales. L’étude se penche aussi sur les dons d’archives à anticiper dans les années à venir. Sont en particulier prises en considération les archives de communautés religieuses, compte tenu des données de la Conférence des religieuses et religieux du Canada sur les moyennes d’âge des membres et les taux de recrutement. Les projections illustrent clairement que les communautés religieuses seront appelées à fermer leurs maisons dans les décennies à venir.
Le rapport brosse un portrait complet des fonctions qui devront être assurées dans le nouveau centre, des espaces requis et de la programmation qui y sera offerte. Il propose de rattacher le Centre du patrimoine au CCFM de façon à épargner des coûts grâce au partage de certains services, comme le chauffage et la conciergerie.
Enfin, des tableaux présentent les coûts associés, tant à la construction qu’au fonctionnement. Le rapport ne manque pas non plus de souligner les moyens qui permettront au nouveau Centre de s’autofinancer à la hauteur du tiers des revenus nécessaires à son fonctionnement. Cela réduisait les dépenses de fonctionnement de moitié qui correspondait mieux au financement qu’il était possible d’obtenir des gouvernements et des revenus auto générés envisagés.
Dès février 1994, ce rapport final est déposé auprès des gouvernements fédéral et provincial. La demande de financement pour la construction se chiffre alors à 2,9 M$. (La Liberté, le 4 mars 1994, p.3) Lors de sa réunion annuelle le 30 mai 1994, la SHSB envisage l’année 1995 comme une année charnière. Non seulement est-il question d’une réponse favorable à la demande de financement du projet de construction d’un Centre du patrimoine, mais, en plus, on projette des activités à l’occasion d’anniversaires : le 150e de l’arrivée des Sœurs Grises, le 150e de l’arrivée des Oblats de Marie-Immaculée et le 150e de la naissance de Louis Riel. (La Liberté, le 3 juin 1994, p.7)
Le 29 juin 1994, le Comité conjoint est formé par les membres suivants : Henri Bouvier, président du CCFM et président du Comité conjoint ; Laurent Desjardins, président d’Archives Saint-Boniface ; l’abbé Georges Damphousse, procureur de l’Archidiocèse de Saint-Boniface et représentant d’Archives Saint-Boniface ; Omer Lamoureux, membre d’Archives Saint-Boniface ; Gilles Lesage, secrétaire d’Archives Saint-Boniface ; Denise Pambrun, vice-présidente du CCFM ; Roger Gamache, directeur général du CCFM et secrétaire/agent de liaison du Comité conjoint ; Alain Boucher ; Henri Grimard, président de la SHSB, Louis Bernardin, vice-président de la SHSB ; Alfred Fortier, directeur général de la SHSB ; Gilbert Comeault, Archives provinciales du Manitoba ; Josette Gosselin ; Philippe Mailhot ; Pierrette Boily et René Piché. Le comité choisit de prendre le nom de Comité conjoint du Centre du patrimoine et des archives.
À partir du 8 septembre 1994, date de sa dissolution, Archives Saint-Boniface ne fait plus partie du Comité conjoint.
Au cours des prochains mois, participent aussi à certaines réunions, à divers titres, Raymond Lafond, Gérald Labossière, Simone Neveu, René Fontaine, Edmond Labossière (conseiller spécial au Secrétariat des services en langue française du Gouvernement du Manitoba), Maria Chaput, Hélène Bulger, Donald Smith et David Dandeneau.
Du côté de la SHSB, les membres du conseil d’administration de l’année 1994-1995 sont : Henri Grimard (président), Louis Bernardin (1er vice-président), Hélène Vrignon (2e vice-présidente), Jo-Anne Ross (trésorière), Léona Gaudry (secrétaire), la conseillère Sylviane Lanthier et les conseillers Christian Benhamou, Alfred Monnin et Michel Verrette.
« Enfin ! On va pouvoir débuter un nouveau chapitre ! » s’exclame le président de la SHSB, Henri Grimard, cité dans le reportage de La Liberté du 13 octobre 1995 (p.3). C’est le gouvernement fédéral qui débloque le premier 1,5 M$. Lloyd Axworthy, ministre de la Diversification de l’Ouest, accompagné de Ron Duhamel, député libéral de Saint-Boniface, en fait l’annonce au CCFM le 10 octobre 1995 au nom du ministre de Patrimoine canadien, Michel Dupuis. Alfred Fortier, directeur général de la SHSB, renchérit : « Il reste à aller chercher la contribution provinciale ». Cette deuxième enveloppe du financement est annoncée par le gouvernement provincial dès le 4 novembre 1995.
Au terme de ces démarches, l’option finalement retenue, lors d’une réunion du conseil d’administration de la SHSB en novembre 1995, est celle d’un nouveau bâtiment attenant au CCFM (La Liberté, le 17 novembre 1995, p.5). L’autre option sur la table à ce moment-là est la réfection du Rendez-Vous (bâtiment du Festival du Voyageur).
Tout au cours des démarches commencées en 1985, les fonctionnaires du gouvernement provincial, Peter Bower, Tom Carson et Gilbert Comeault, jouent un rôle critique dans l’avancement du projet. Dans un courriel (le 14 juin 2023), Gilbert Comeault confirme que Peter Bower, suivant le projet de près, comparait l’effacement puis l’apparition des démarches portant sur le projet de Centre du patrimoine à une baleine qui plonge puis refait surface au fil du temps. Comeault mentionnait qu’Alfred Fortier et lui se parlaient au téléphone presque tous les jours pour discuter de ce projet ou de sujets connexes. Il s’assurait d’acheminer toute information utile à Peter Bower pourvu qu’il s’agissait de nouveaux faits pertinents. Pour le ministère, des considérations en fonction des besoins et des demandes de la francophonie pouvaient mettre en question le projet ou son ampleur. De plus, il y avait les comptables du gouvernement qui s’interrogeaient sur le coût du projet de construction et de fonctionnement. Ces comptables demandaient aussi ce que seraient les sources du financement.
Dans un article de Lucien Chaput, publié dans La Liberté du 25 septembre au 1er octobre 1998, on y lit : « Ces personnes rares qui ne se laissent pas décourager par un travail mené trop souvent sans la compréhension et l’appui d’un large public. » Comme Lucien Chaput me le confirmait par courriel lors de l’écriture de ce texte, il rendait ainsi hommage aux « commis d’état », surtout Gilbert Comeault et Peter Bower.
Le financement et l’appel d’offres 1995-1997
Si le financement de la construction du bâtiment est la question prioritaire, son corollaire est d’assurer un financement de fonctionnement pour la SHSB, puisqu’elle aurait la responsabilité de gérer l’édifice et la programmation. Au cours de pourparlers avec le gouvernement provincial, la question est mise sur la table. Une des suggestions d’une des fonctionnaires, Sue Bishop, est que la SHSB explore des activités de financement, comme la vente de tartes. La suggestion n’est évidemment pas bien reçue.
Cependant, une action est prise dès mai 1995 en vue d’assurer une certaine stabilité financière au Centre du patrimoine. La création d’un fonds institutionnel à Francofonds, le fonds Culture et Patrimoine, est annoncée dans La Liberté du 2 juin 1995 en page 3.
Les dons de la francophonie manitobaine envers le fonds Culture et Patrimoine permettraient, selon le gouvernement provincial, de mesurer l’intérêt concret de la communauté pour un Centre du patrimoine et d’assurer un certain autofinancement. Dès le mois d’octobre 1995, on annonce un don anonyme de 40 000 $.
En 1996-1997, le conseil de la SHSB est composé de : Henri Grimard (président), Paul Baril (1er vice-président), Hélène Martin (2e vice-présidente), Léona Gaudry (secrétaire), Louis Bernardin (trésorier), la conseillère Carole Barnabé, et les conseillers Alfred Monnin, Michel Verrette et Christian Benhamou.
Il reste important d’assurer la participation de l’Archevêché au projet d’un centre d’archives. À cet effet, il faut convaincre l’archevêque de Saint-Boniface du bien-fondé du projet. Dans ce but, le sous-comité des archives religieuses de la SHSB prépare un mémoire intitulé Projet de collaboration qui s’avère nécessaire pour la préservation et la consultation des archives diocésaines qu’il présente en janvier 1997 à Mgr Antoine Hacault, archevêque de la Corporation archiépiscopale catholique Romaine de Saint-Boniface. Des négociations se poursuivent et après mûre réflexion, l’Archidiocèse accepte de déposer ses archives au Centre du patrimoine.
La construction du Centre du patrimoine 1997-1998
Le choix des architectes se porte sur Corbett Cibinel (La Liberté, 23 février 1996, p.5). Le début des travaux est prévu au printemps 1997. (La Liberté, le 7 juin, p.8) Les plans architecturaux se précisent. George Cibinel cherche en particulier à intégrer dans ses plans un élément architectural représentant la francophonie manitobaine. Grâce à la suggestion d’Alfred Fortier, des éléments de la façade du bloc Cauchon (aussi connu comme l’hôtel Empire sur la rue Main) sont retenus. Le nouvel agencement connu sous le nom de Mur du patrimoine orne le Salon Empire (La Liberté 1er novembre 1996, p. 10). Le choix est très pertinent à l’histoire de la francophonie manitobaine. Tout d’abord, il s’agit d’un édifice construit par Joseph Cauchon, premier lieutenant-gouverneur francophone du Manitoba (1877-1882) qui, en tant que promoteur, avait bâti le premier immeuble de bureaux de Winnipeg. De plus, c’était aussi Joseph Cauchon qui avait bloqué, en 1878, le premier projet de loi destiné à abolir certaines garanties découlant de l’article 23 de la Loi sur le Manitoba. En refusant de signer le projet de loi qui aurait aboli l’impression en français des lois du Manitoba, il empêchait sa proclamation comme loi effective, contrairement à ce qui allait arriver en 1890, lors du passage du Official Language Act. Enfin, en 1982, la façade de l’hôtel Empire est désignée objet du patrimoine et préservée par la province du Manitoba grâce à une revendication pour la préservation de l’édifice menée par la Manitoba Historical Society et la SHSB, au temps où Lionel Dorge en est le directeur.
L’année 1997 est une année propice à la construction, car les projets de construction sont à la baisse. Les soumissions ne sont pas aussi élevées qu’on pouvait le craindre. La soumission la plus basse est retenue, celle des entrepreneurs Gateway Construction and Engineering.

Le lieutenant-gouverneur du Manitoba, Yvon Dumont. Archives de la SHSB, Fonds SHSB, SHSB 100137
La cérémonie de la première pelletée a lieu le 27 juin 1997. (La Liberté, le 4 juillet 1997, p. 5). Le premier lieutenant-gouverneur métis de la Province du Manitoba, Yvon Dumont, mentionne lors de la cérémonie que « Les francophones et les Métis ont eu avant n’importe qui d’autre le rêve d’établir une province. Et aujourd’hui, nous commémorons ce rêve et ces rêveurs, avec ce projet qui rendra possible la préservation d’une importante partie de notre histoire ». La cérémonie de la première pelletée de terre, précédée de la bénédiction du site par Mgr Roland Bélanger, réunit Henri Grimard, président de la SHSB ; Henri Bouvier, président du CCFM ; Neil Gaudry, député provincial de Saint-Boniface ; Rosemary Vodrey, ministre de la Culture, du Patrimoine et de la Citoyenneté ; Yvon Dumont, lieutenant-gouverneur ; Ronald Duhamel, député de Saint-Boniface ; et Daniel Vandal, conseiller municipal.

La cérémonie de la première pelletée. On y voit à la première rangée de gauche à droite, l’abbé Georges Damphousse, Dan Vandal, Ron Duhamel, le lieutenant-gouverneur Yvon Dumont, la ministre Rosemary Vodrey, Neil Gaudry, Henri Bouvier, Mgr Roland Bélanger, Alfred Monnin, et l’aide de camp du lieutenant-gouverneur. On y voit aussi debout au coin à droite Peter Stechishin et George Cibinel.
Archives de la SHSB, Fonds La Liberté, SHSB 99915
Le rapport Chaput avait prévu les différentes fonctionnalités que le Centre devait assurer : chambres froides pour la préservation des documents, espaces publics pour la consultation, espace d’accueil à l’entrée pouvant servir aussi à des expositions, une salle polyvalente (pour accueillir des étudiants et pouvant servir de salle de réunion) équipée d’un petit espace pour l’équipement du système sonore, espace de bureau pour les employés, espace de traitement des archives audiovisuelles, espace de réception pour les livraisons, espace pour le travail de traitement et de description des fonds d’archives et une pièce pour l’équipement électronique (serveurs administratif et internet), ainsi que les prises jugées nécessaire pour assurer l’usage le plus pratique possible des nouvelles technologies.

La construction de la fondation. Archives de la SHSB, Fonds SHSB, SHSB99944
L’un des changements apportés aux plans architecturaux préliminaires concerne les étagères amovibles. Au départ, le plan en prévoit au troisième étage. Toutefois, le coût d’assurer le support nécessaire pour le poids d’étagères amovibles au troisième s’avère trop élevé. Plutôt que d’éliminer complètement l’idée d’étagères amovibles, il est décidé d’examiner l’option de les installer au deuxième étage, une solution qui s’est avérée plus économique. Néanmoins, pour maintenir le coût de l’édifice dans les limites du budget fixé, la longueur du bâtiment est réduite de 1,5 ou 2 mètres.
Au début de sa carrière, George Cibinel avait travaillé avec Étienne Gaboury, l’architecte qui a conçu les plans du CCFM. Sensible à l’importance de marier l’architecture du Centre du patrimoine à celle du CCFM, Cibinel choisit la configuration et les matériaux des murs de l’extérieur en conséquence. Son approche harmonise le CCFM et le Centre du patrimoine visuellement et leur permet de partager un débarcadère.

Les travaux associés à la pose de la membrane bleue. Archives de la SHSB, Fonds SHSB, SHSB 100020 et SHSB 100021
Un autre aspect remarquable de la construction des murs extérieurs est la membrane bleue étanche posée par-dessus les blocs de ciment avant la pose des briques de finition. En fait, des tiges en métal tiennent le mur de brique ancré au mur de blocs. Cependant, chaque tige doit traverser la membrane bleue. Pour s’assurer que l’endroit où la tige perce la membrane ne soit pas, avec le temps, la cause de rouille due à la condensation que l’ouverture aurait pu occasionner, une compagnie spécialisée vérifie avec un agent de fumée l’étanchéité de chaque endroit scellé après avoir été percé.
L’architecte tient aussi à ce que les espaces ouverts au public soient des plus agréables. Il utilise à son avantage l’exigence de poutres horizontales très épaisses pour soutenir le poids de deux étages d’archives. La profondeur créée par l’épaisseur des poutres permet l’aménagement d’un plafond cathédral. Puisque la surface des colonnes soutenant les poutres s’est révélée lisse, après avoir enlevé les tubes dans lesquelles ils avaient été coulés, la décision de ne pas les recouvrir de plâtre est prise, car leur apparence de granit est esthétiquement agréable.
L’autre élément choisi par l’architecte pour créer un intérieur chaleureux est l’utilisation de bois pour les portes, les cadres et les larges plinthes qui entourent les espaces du rez-de-chaussée. Comme l’a fait remarquer l’un des charpentiers, Charles Roy, apprécié a été le fait que les responsables du projet, soucieux d’un travail bien fait, ont donné aux charpentiers le temps nécessaire pour qu’ils puissent effectuer un travail de qualité.

Morceaux de la façade de l’hôtel Empire, désignée objet du patrimoine par la Province du Manitoba dans l’entrepôt de la province. Archives de la SHSB, Fonds SHSB, SHSB 100097
L’élément le plus frappant et le plus commenté est l’espace de l’entrée principale qui donne sur un grand porche. Connu comme le salon Empire, cet espace comprend le Mur du patrimoine, confectionné avec des morceaux authentiques de la façade de l’hôtel Empire. Le plancher recouvert de linoléum écologique aux couleurs et au patron inspirés des courtepointes anciennes québécoises est aussi particulièrement remarquable. Vu des fenêtres du deuxième étage, il donne une impression de profondeur qui ajoute à la qualité de l’ensemble. De plus, le système d’éclairage, en couvrant entièrement le plafond, donne l’impression de se retrouver debout sur la rue Main, devant l’hôtel Empire. Dominante, la façade aurait pu accentuer l’étroitesse du lieu. Tout au contraire, l’harmonisation du plancher, du plafond, de l’éclairage et de la disposition des murs ouvre l’espace, contribue à donner du volume.Le résultat est un édifice qui dégage une impression de stabilité et de soutien pour la longue durée, bien en résonance avec la raison d’être de la construction : la préservation des archives pour les générations futures.

Photo prise lors de la construction du Centre du patrimoine en 1998. Archives de la SHSB, Fonds SHSB, SHSB 100150
La construction du Centre du patrimoine est financée à hauteur de 1,5 M$ par le gouvernement fédéral, 1,2 M$ par la Province et 300 000 $ par l’Entente Canada Communauté. Ne devant pas dépasser le montant de 3 M$, le projet est suivi de près par le Comité de construction. Ce comité est formé de représentants de la SHSB, du CCFM et du gouvernement du Manitoba : Louis Bernardin, Al Steinbull, Gilbert Comeault, Lucien Chaput, Gilles Lesage, Alain Boucher, Alfred Fortier, Denis Sicotte, Ala Rekrut, David McInnis, Janelle Reynolds, Robert Rogier, Henri Grimard, Paul Baril, Madeleine Lafond, Anne Ryan, Carson Rist, Martin Kuilman, Dan Garcea et Georges Cibinel. Certains y ont siégé pour la durée de la construction et d’autres pour une plus courte période, selon la durée de leurs mandats.
Durant la construction, le comité s’est réuni au moins une ou deux fois par semaine et a rassemblé la plupart du temps les architectes, les membres du comité, des représentants de Gateway Construction et, au besoin, certains représentants des sous-traitants. Les procès-verbaux détaillés des réunions étaient ensuite remis à tous les intéressés. Chacun pouvait vérifier que ses commentaires avaient bien été pris en compte, une procédure permettant d’assurer le suivi à la prochaine réunion. Ces réunions très productives ont donné lieu à un bon contrôle de la qualité de la construction.
Le Comité de construction comprend des membres représentant les Archives provinciales, Gilbert Comeault et la conservatrice Ala Rekrut, qui veillent à ce que toutes les mesures possibles soient prises afin d’obtenir l’espace le plus propice à la gestion et la préservation des archives. Ainsi, un système de toit courbé en métal a été choisi pour minimiser l’éventualité que le toit coule ; la distance du plancher au plafond du grenier est assez élevée, ce qui facilite l’inspection du toit et, au besoin, les réparations ; partout où il y a des services d’eau (lavabos, toilettes, conduits des systèmes CVC), une bouche d’évacuation est installée ; chaque étage est équipé de bouches d’évacuation d’eau en cas de fuite ; des détecteurs de niveau d’eau sont installés dans les chambres froides ; et les chambres froides sont construites avec un mur extérieur qui enveloppe un mur intérieur, de sorte que les systèmes CVC ne réagissent pas aux variations de la température extérieure, car l’espace créé entre les deux murs forme une zone tampon. Cet espace tampon permet aussi d’inspecter plus facilement l’état des murs des chambres froides des deux côtés, comme il permet plus facilement des réparations, en cas de besoin.
Sont aussi prévus : une petite chambre de quarantaine pour les nouvelles acquisitions soupçonnées de contamination (moisissures, insectes ou autres éléments nocifs pour les documents) ; des espaces publics ouverts afin d’assurer par une visibilité maximisée la sécurité publique ; les chambres froides placées aux deuxième et troisième étages afin de minimiser les dommages possibles par des inondations ou des bris de conduits d’eau ; l’accès limité aux chambres froides tant par un ascenseur activé par une clé que par des portes à serrures ou à cartes sécurisées (pour minimiser les vols et l’accès aux documents sous restriction) ; un type d’éclairage permettant de minimiser l’effet de détérioration des documents par la lumière ; un espace pour des congélateurs dans une des chambres froides, surtout pour la préservation des négatifs ; un système de détection de mouvement pour le rez-de-chaussée et des portes extérieures sécurisées munies d’un système d’alarme qui est activé lorsque le Centre est fermé.
Parmi les membres du Comité de construction figure aussi un architecte prêté par la Province, Peter Stechishin, qui veille tant aux intérêts du gouvernement qu’à la qualité de la construction selon les désirs de la SHSB et du CCFM, tout en assurant une bonne communication entre les architectes Corbett Cibinel et la firme Gateway Construction. La province avait eu comme représentants, avant l’arrivée de Peter Stechishin, Al Steinhubl et Robert Rogier.
Lors de la revue des plans en cours de construction, l’architecte George Cibinel remarque qu’un petit espace créé dans un angle, au 2e étage, n’est pas utilisé. N’ayant pas prévu d’espace pour les employés, il devient possible de placer dans cet endroit une salle de toilette et une petite salle de repas. Au fil des années, cet espace s’est avéré bien utile, autant pour les pauses santé que pour les lunchs et même des rencontres de petits groupes.
L’ouverture officielle 25 septembre 1998
Si le déménagement dans le nouveau centre commence dès le mois de mars 1998, c’est le 25 septembre 1998 qu’a lieu l’ouverture officielle. L’événement célèbre la réalisation du projet de construction du Centre du patrimoine, complété dans les délais prévus et sans dépasser le financement promis de 3 M$. Ce montant a assuré la construction, les frais de déménagement, l’ameublement de l’espace et l’achat des équipements nécessaires. Avec le nouveau Centre du patrimoine, la SHSB devient l’organisme de préservation et de diffusion du patrimoine archivistique le plus important des francophones de l’Ouest.
Pour la célébration, plus de 250 personnes se joignent aux nombreux dignitaires, dont Yvon Dumont, lieutenant-gouverneur, Gildas Molgat, sénateur, Ronald Duhamel, secrétaire d’État à la Science, la Recherche et la Technologie ainsi qu’à la Diversification économique de l’Ouest ; Rosemary Vodrey, ministre de la Culture, du Patrimoine et de la Citoyenneté Manitoba ; Daniel Vandal, conseiller municipal de Saint-Boniface ; Roland Bélanger, chancelier de l’Archidiocèse de Saint-Boniface ; Henri Grimard, président de la SHSB. Le président de la cérémonie est Michel Monnin.

La coupe du ruban lors de l’ouverture officielle du Centre du patrimoine. On y voit de gauche à droite, le lieutenant-gouverneur Yvon Dumont, Henri Grimard, la ministre Rosemary Vodrey, et Neil Gaudry. Archives de la SHSB, Fonds SHSB, SHSB 99916b
Parmi les invités spéciaux se trouvent Audrey Poitras, présidente du Métis Nation of Albert, Sheila Genaille, présidente de la Métis Women of Canada, ainsi que Pauline Vaugeois, Western Advisor, Metis National Council of Women.
Le ruban est coupé par Rosemary Vodrey, Neil Gaudry, Yvon Dumont, Henri Grimard, Gildas Molgat et Michel Monnin.
Par la même occasion, Georges Damphousse, chancelier de l’Archidiocèse de Saint-Boniface, signe le contrat de dépôt des archives de l’Archevêché (La Liberté, le 2 octobre 1998, p. 10) et René Fontaine celui du dépôt des archives de Radio-Canada.

Signature du contrat de l’archidiocèse, Henri Grimard et l’abbé Georges Damphousse. Archives de la SHSB, Fonds SHSB, SHSB 100100

Signature du contrat de Radio Canada, Henri Grimard et René Fontaine Damphousse. Archives de la SHSB, Fonds SHSB, SHSB 100099
Comme le souligne Lucien Chaput dans une rubrique du Rapport annuel 1998-1999 de la SHSB, celle-ci est « le leader dans la conservation et la mise en valeur du patrimoine francophone et métis de l’Ouest canadien dans trois secteurs-clés : les archives, la généalogie et l’avancement, la promotion et la diffusion des connaissances de l’histoire francophone et métisse de l’Ouest canadien ».
En mai 1999 (La Liberté, le 30 avril 1999, p. 7), la SHSB reçoit le Prix Manitoba Awards pour le meilleur projet de 1998, soit la construction du Centre du patrimoine. La ministre de la Culture, du Patrimoine et de la Citoyenneté, Rosemary Vodrey, remet le prix, une sérigraphie de l’artiste autochtone Jackson Beardy, au président de la SHSB, Henri Grimard.
Le 27 mai 1999, à l’assemblée générale annuelle, le bilan de la SHSB se révèle plus que positif : la construction du Centre du patrimoine, la signature d’ententes avec l’Archidiocèse de Saint-Boniface et Radio-Canada pour le dépôt de leurs archives, le Prix Manitoba et un surplus de 165 000 $. Ayant effectué son mandat, Henri Grimard, président de la SHSB depuis 1991, tire sa révérence.
Le 28 mai 2002, lors de la dernière assemblée annuelle de la SHSB du feu directeur général, Alfred Fortier, celui-ci en profite pour signaler l’importance de la collaboration de Neil Gaudry, décédé le 18 février 1999, « un ami de longue date qui m’a non seulement appuyé, mais qui a su convaincre, le temps venu, les responsables gouvernementaux de la nécessité et de la sagesse de construire notre Centre du patrimoine. » C’est d’ailleurs pour cette raison que la salle polyvalente à l’entrée du Centre a été désignée salle Neil-Gaudry.
En guise de conclusion en 2023
Si nous avons accès aux archives des francophones et des Métis aujourd’hui, c’est parce les mesures nécessaires ont été prises pour les préserver. L’accès aux archives à long terme n’est possible que si elles sont bien préservées.
Un simple survol des publications en histoire du Canada au cours des 150 dernières années montre aisément les changements intervenus, non seulement dans les versions de l’histoire, mais aussi dans la variété des questions traitées, les différences de perspectives et d’approches privilégiées. Avec les développements technologiques qui facilitent l’accès aux archives et qui permettent de les interroger différemment, on ne peut qu’à peine entrevoir les nouvelles questions que poseront aux archives les chercheurs des générations futures ainsi que les approfondissements et les nouvelles connaissances que les archives permettront d’atteindre. Des questions insoupçonnées se poseront sans doute. Tout aussi sûrement, les archives demeureront pour les générations futures des sources de connaissance, d’inspiration et de stimulation de l’imagination d’une richesse inestimable. Les archives sont une ressource durable dont la valeur en soi est incalculable, tout comme l’est la valeur de l’environnement naturel.
Dans un article du Guardian (God save us all: Britain is about to get the king it deserves de Stephen Marche, le 3 mai 2023), on trouve une citation de Marshall McLuhan datant de 1963 : « Canada is the only country in the world that knows how to live without an identity ».
Au premier abord, cette citation de l’expert en communication semble totalement contredire l’argument de Symons élaboré dans son rapport To Know Ourselves et réduire l’importance des archives dans cette entreprise de connaissance.
En vérité, si Symons fait état dans son rapport de la situation des études canadiennes, de ses lacunes et de son importance pour mieux connaître l’identité du pays et la promouvoir, il insiste aussi sur la nécessité pour les instances gouvernementales fédérales, provinciales et municipales de préserver et de rendre accessibles leurs archives. Il renchérit sur l’importance des archives des universités et des autres instances publiques et privées. Enfin, la primauté d’un réseau national des archives figure parmi ses recommandations. Ainsi, il reconnaît qu’il faut davantage et mieux explorer les archives.
Dans ce sens, la citation de Marshall McLuhan ne contredit pas vraiment les propos de Symons et n’a pas valeur de conclusion. Au fond, les lacunes dans les études canadiennes et l’importance de préserver et de rendre accessible les archives ne sont-elles pas la marque d’un pays vivant ? D’un pays qui se transforme ? D’un pays qui cherche à mieux connaître et reconnaître les multiples identités et la diversité culturelle qui constituent le Canada ? Le défi canadien n’est-il pas de permettre le plein épanouissement des constructions identitaires et d’assumer la diversité et le métissage des identités et des cultures ?
N’est-ce pas ce qui se constate dans la multiplicité des chercheurs qui consultent les archives, dans la diversité des perspectives explorées et dans les multiples questionnements qui sont avancés ?
Les archives ne nous invitent-elles pas à explorer ce qui peut être construit à partir de ce qui a été réalisé, de ce déjà-là qui nous est donné ? En fait, l’identité n’est pas ce joyau à chercher dans la consultation des archives comme une donnée dure, ou encore comme un fondement dont les archives seraient des signes qui nous invitent à nous y enfermer, comme un mirage qui nous fait perdre la visée de l’horizon.
Comme le disait Georges Lemaître, cité par Thomas Hertog dans L’origine du temps La dernière théorie de Stephen Hawking, 2023, (p.96) : « Il faut trouver ici, comme dans tant d’autres domaines, un juste milieu entre un idéalisme rêveur qui s’égare et un positivisme étroit qui demeure stérile ».
Au contraire, les archives n’ouvrent-elles pas une voie vers un avenir à construire, à mieux faire, vers une destinée à poursuivre ? Ne nous mènent-elles pas à de nouvelles perspectives ?
Ne permettent-elles pas, en somme, de répondre à l’appel de la vérité et de la réconciliation pour un approfondissement du passé permettant de forger un avenir meilleur pour tous, y compris tous les marginalisés ?
« Jeune ou vieux, clair ou basané, homme ou femme, nous partageons tous une humanité commune et nous nous dirigeons vers une même destination. Cela devrait nous unir plus fortement que les divisions qui nous opposent. Tant et aussi longtemps que l’amour ne sera pas l’unique gouvernail de nos liens les uns avec les autres, il nous restera du travail ». Extrait de la page 305 du livre de Wab Kinew, La Force de marcher, traduction de l’anglais par Caroline Lavoie, publié chez Mémoire d’encrier, 2017 de l’original, Wab Kinew, The Reason You Walk, p. 268, 2015 chez Penguin Random House.
